Les Larmes d'Aurora

Départ Précipité

Aurora se réveilla en sursaut.

— Igor ! s'exclama-t-elle.

— Frrt ?

— Tu étais là, n'est-ce pas ? Comment s'appelle la sorcière ?

— Malbeth, frrt, assura-t-il.

— Alors c'est certain. Ce n'était pas un rêve.

Elle jeta la couette au pied du lit et secoua ses sœurs.

— Debout ! Il faut partir.

— Quelle heure il est ? ronchonna Vivian.

Aurora se précipita sur sa robe, l'enfila d'un geste, et revint à la charge.

— Réveillez-vous ! Allez !

— On va partir, bâilla Mariann. Tout à l'heure. Il est trop tôt. Laisse-moi dormir encore un peu...

Aurora grimpa sur elle et lui prit la tête entre les mains.

— Mariann ! Mariann. Regarde-moi. Ouvre les yeux. Regarde-moi !

Sa grande sœur battit lentement des paupières. L'image de la petite fée blonde se stabilisa. Ses yeux bleu acier étaient rivés sur elle dans une communication invisible. Elle lisait la panique sur son visage.

— Viv... Vivian, lève-toi, souffla Mariann. Je crois qu'il faut y aller.

Elles se vêtirent en hâte, sortirent de la chambre sans faire de bruit. Mariann était mal à l'aise de partir comme une voleuse, mais Aurora les pressait tellement qu'elles n'avaient pas le choix. Leurs chaussures enfilées, elles poussèrent la porte d'entrée et s'engouffrèrent dans les escaliers.

— Aurora, est-ce que tu vas nous expliquer ce qu'il se passe ?

— En chemin, promit-elle.

Une fois dehors, un spectacle désolant les figea toutes les trois. Même Aurora oublia un instant l'urgence de la situation. Elle porta une main devant sa bouche avec horreur. Le jour se levait à peine et éclairait d'orange les carcasses des bateaux qui flottaient sur la mer, raclant le port au gré des vagues. Sur la berge, des débris de toutes sortes s'amoncelaient sur les pavés trempés. Ce n'était plus un port, mais un cimetière. Malgré l'heure matinale, quelques personnes étaient venues constater l'étendue de la catastrophe, des marins pour la plupart. Parmi les planches de bois, les plaques de composites, les morceaux de plastique arrachés aux coques, ils cherchaient le nom de leur embarcation. Ils se lamentaient, secouaient la tête, aussi dévastés que par la mort d'un être cher. Aurora pensa avec désespoir à M. Svenson. Lui qui avait détourné les yeux de la tempête. Comment réagirait-il ce matin en découvrant son chalutier disparu ? Elle effleura son escarcelle.

— Je... je... Je ne voulais pas.

Vivian la poussa aussitôt.

— Viens. Ne restons pas là.

Elles remontèrent la rue principale en courant. Par bribes, Aurora leur relata son voyage aux portes de la citadelle, sa rencontre avec Malbeth. Et surtout, celle avec Manchesto. Elle ne cessait de jeter des regards apeurés vers le ciel, craignant qu'il ne leur tombe dessus. Mariann et Vivian absorbaient les informations sans trop savoir comment réagir. Aurora racontait toujours tout un tas de choses fantastiques. D'habitude, elles y croyaient sans peine. Mais que leur petite sœur soit responsable de l'apparition d'une entité maléfique, elles avaient du mal à l'accepter. Cela paraissait si invraisemblable. Mariann essayait de se rassurer.

— De toute façon, nous avions prévu de partir, n'est-ce pas ?

Finalement, peu importait la raison pour laquelle elles quittaient la ville. La tempête était passée, elles n'avaient plus rien à faire ici. Leurs parents devaient être tellement inquiets.