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(Gaëtan )

Miriam a été prévenue aussi n’essaye-t-elle même pas de me retenir ! Un seul geste de salut suffit. Cinq minutes plus tard, je suis chez moi. Mon sac pour le week-end est déjà prêt. Un bref instant, j'hésite à y joindre mon cartable. J’ai encore quelques dossiers à consulter. Peut-être à l’appart-hôtel lorsque Sophie sera couchée. Une partie de moi doute sérieusement de mes capacités mais je le prends quand même. En cas d’insomnie, m'y plonger sera préférable que de tourner et retourner mes pensées en vain. Je récupère dans le frigidaire les sandwichs et plats préparés pour les deux jours. Et hop en voiture. 

Je fais deux pauses sur le trajet, m’obligeant à boire mon café dehors au frais pour me maintenir éveillé. Je dois me presser, après plusieurs heures de communications téléphoniques, j’ai réussi à arracher l’autorisation de voir Sophie ce soir. Pour cela je dois y être avant 18 heures. Un peu plus de deux heures de route si le trafic reste fluide, il n’était pas envisageable que je parte après la sonnerie de 16h30. 

A 17 heures pile, je suis devant le portail du centre. 

— Monsieur Vernet, vous comprenez bien qu'il s’agit d'une autorisation exceptionnelle, n'est-ce pas ? Nous ne sommes pas certain de l’effet que produira votre visite…

— Je l’ai, hélas, bien  compris, Monsieur le Directeur. Je n'aurai  pas la possibilité de revenir les deux week-end suivants,  avec la rentrée des élèves à L’IME. Il me semble nécessaire que Sophie, même si elle ne s’exprime pas, sache que je ne l’ai pas abandonné à mon tour. 

— Vous êtes actuellement le seul à penser qu’elle puisse être capable de ce genre de réactions. 

— Ce n’est pas entièrement vrai, vous le savez très bien, grommelé-je. Après les vacances d’automne, Sophie  partagera ses journées entre l’hôpital de jour et l’IME.

C'est un peu exagéré. Seule la place à l'hôpital est à l'ordre du jour pour le moment.  

—Son silence va être un énorme obstacle, vous le réalisez ?

—Très bien. Il me semble que vous continuez à camper sur vos positions. Tous les spécialistes qui l'ont examinée arrivent à la même conclusion. Le blocage du langage chez Sophie est  le seul moyen qu’elle a trouvé pour se protéger. La relation qu'ils avaient, elle et son père, était fusionnelle. Nous avons beau essayer de lui expliquer que Arnaud ne reviendra pas, une partie d’elle s'y oppose encore. Même si les deux structures où elle sera n’auront pas qu’elle à gérer, elle sera, malgré tout, stimulée, quotidiennement. Dois-je vous rappeler ma fonction ? Soit la différence entre hôpital de jour et IME est considérable mais des enfants mutiques y sont accueillis régulièrement.

—Et les autres jours, il se passera quoi ?

—J’ai plusieurs entretiens de prévu afin de rencontrer une personne en capacité de s’occuper de Sophie à notre domicile. Ne doutez pas de ma motivation, elle est entière ! Puis-je maintenant aller la voir ? 

—Bien entendu. Elle se trouve dans la même pièce que l‘autre jour. 

—Je lui amène d’autres jeux de stimulation conseillés par l’hôpital de jour où elle va être accueillie. Peut-elle, comme les précédents, les conserver dans sa chambre ? 

— Aucun souci à ce sujet. Il est évident que cela l'intéresse et l’apaise d'une certaine façon. Elle y fait très attention, rangeant systématiquement les différents éléments. 

Lorsque je franchis la porte, Sophie ne réagit pas. Assise sur un petit tabouret, un puzzle sur la table, elle positionne chaque pièce méticuleusement. Elle risque un regard curieux lorsque je m’installe à côté d’elle au sol. 

— Bonjour Sophie. Tu vas vite maintenant, dis- donc ! Regarde la surprise que j’ai pour toi, dis-je en fouillant dans le sac plastique. 

Plus un mot ne sort de la bouche de Sophie, ni même un son. J'ai posé une multitude de questions pour comprendre le processus dans lequel cette petite fille s’est installée depuis la mort brutale de son père, il y a presque six mois. Maintenir le silence autour d’elle n’est pas une aide, bien au contraire. Mobiliser son esprit, ses autres sens est le moyen le plus efficace pour lui donner le déclic. 

Du sac, je sors différents éléments. Sophie a un peu plus de six ans. Arnaud, son père, a toujours veillé qu’elle soit entourée de livres. J’ai des images de lui qui me viennent en tête. La petite n'était encore qu' un nourrisson qui pensait plus à les suçoter qu'à autre chose. Je me moquais de lui régulièrement.

Sa mère adorait tous les livres, Gaëtan. Je sais que le bébé n’y comprend rien. Elle entend ma voix et sait que je l’aime. Quand elle sera en âge de comprendre, je lui parlerai  de sa maman. 

Sans dire un mot, elle examine chacun de mes gestes. La première plaquette représente un chien. Le dessin est certes simpliste mais il s’ adresse à des enfants plus jeunes. Mon but est de la remettre en présence de mots qu’elle maîtrise. Qu’elle maîtrisait parfaitement avant. Je ne m’attends à aucun miracle, je m'oppose tout simplemen  à la figer dans le rôle d'une gamine idiote comme le suggère le directeur. Le puzzle ne l’intéresse plus, elle n’a d’yeux que pour les dessins posés sur la table. Nonchalamment, je fais glisser les lettres posées sur la table et reconstitue le mot lettre après lettre. Elle est très attentive. Je rassemble les lettres et les mélange. 

—Tu veux essayer ? proposé-je. 

Son sourire s’ efface en un instant, elle détourne la tête. Foutu impatience ! L’éducateur m’a pourtant prévenu. La stimuler est important mais ne pas la forcer à parler. Seule elle décidera du moment où elle sera prête. Un bruit à la porte me fait comprendre qu'il est temps de partir. Le coeur serré, je me contente d'un au revoir gestuel.

Percuté par le soleil Where stories live. Discover now