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(Gaëtan)

Elle ne semble ni en colère ni effrayée à cette idée. Curieuse me semble correspondre pas mal à son état d’esprit.
Pour ma part, l’angoisse est clairement d’actualité.
Par lâcheté, et le terme est très loin d’être excessif, je n’ai pas remis les pieds dans la maison depuis le jour où j’ai récupéré quelques affaires pour Sophie.

L’argent d’Arnaud me permet de payer une personne qui se charge d'aérer et d’entretenir les extérieurs.
Il n’a jamais été question pour moi de la vendre, Sophie en est la seule propriétaire. Sa situation géographique, bien trop éloignée de mon boulot a été une première très bonne raison de ne pas s'y installer. Le fait que la mort brutale d’Arnaud a été le déclencheur du mutisme de Sophie en était une tout aussi réelle.

La proposition d’Hugo est très loin d’être stupide. Quelques jours après que la voix de Sophie retentisse à nouveau,  son besoin d’informations concernant son père est devenu primordial.

Moi, je suis tétanisé. Et si le choc lui subtilisait à nouveau sa voix ?

— On peut ? m’interpelle Sophie, les yeux brillants.

— Bien entendu que nous le pouvons, petit lutin.

—Tu es d’accord pour que je vous y accompagne ? intervient Simon, et le large sourire de Sophie est à lui seul une réponse.

En fin d'après-midi, comme convenu. François nous a reçus dans son bureau.

— On va aller dans la maison, clame Sophie en tapant dans ses mains.

— Parfait.  Veux-tu jouer avec moi, Sophie ?

Son oui enthousiaste nous fait tous sourire.

—Ferme tes yeux pour te concentrer, s'il te plait. Tu es devant la porte d’entrée de la maison. Peux-tu me guider vers ta chambre ? Gaëtan pourra t’aider si c’est trop difficile.

Par réflexe, je ferme à mon tour mes yeux. Même si je connais parfaitement les lieux, mon regard est sûrement différent de celui de Sophie.

—Derrière la porte, papa a mis un, comment cela s’appelle, pour ranger le manteau et les chaussures.

— Un porte manteau. Dans ce cas, c’est un meuble, précisé-je à François.

— Oui, dit Sophie avant de fermer les yeux à nouveau.

Pas un mot ne sort de sa bouche, seules ses mains s'activent. Ses doigts se tordent. Je ne sais pas si je dois intervenir. François me fait signe que non.

— Je ne sais plus où est la chambre de papa, chuchote-t-elle en posant sa petite main sur mon bras.

— Ce n’est pas grave, intervient François. Que vois-tu d’autre ? Peux-tu nous guider vers ta chambre ?

— Non. Elle est à côté de celle de papa, s'énerve-t-elle, au bord des larmes.

— Ouvre les yeux, Sophie. Ne t’inquiète pas, dès que tu seras dans la maison, tu te rappelleras de tout. Tu peux aller rejoindre Hugo si tu veux, Gaëtan va te rejoindre.

Elle est à peine sortie que François prend la parole.

— Ne froncez pas les sourcils ainsi, Gaëtan. Il n’y a rien de grave ni d’anormal. Le mutisme de Sophie a beau avoir disparu, elle est toujours en deuil. Une partie de son esprit l’a assimilé, l’autre met un peu plus de temps. Pratiquer cet exercice est un bon moyen de repérer ce souci. Je n’ai pas trop d’inquiétudes, la mémoire des lieux reviendra. Il est peut-être possible que ses nuits soient agitées. Je vous conseille de ne pas trop attendre, elle en a besoin.

Hugo et Simon étaient importants pour Sophie. Il n’était pas question que Nils n’y soit pas. Sophie est restée silencieuse durant tout le trajet. Cela ne lui ressemble pas.

—Il reste presque une heure de route. Veux-tu t’appuyer sur mon épaule pour essayer de dormir un peu ? lui propose Simon qui a dû, lui aussi, repérer le malaise.

Aucune réponse mais sa tête se pose délicatement sur l’épaule du jeune homme. Dans le rétro, mon pouce levé est suffisamment explicite pour provoquer son sourire. Se rend-il compte à quel point s’occuper d’enfants est un acte inné chez lui ?

La voiture est à peine garée dans la cour qu’elle se détache du siège-auto prête à bondir.

— Hop hop, petite gazelle ! Même s'il n’y a aucun danger, tu nous attends, dis-je en me détachant à mon tour.

Me retrouver, là, face à la maison, n’est pas du tout évident. Lorsque j’ai exprimé mon angoisse devant François, celui-ci m’a assuré qu’elle ne serait pas néfaste pour Sophie. Sentir l’émotion gagner du terrain me pousse à rejoindre Sophie au pied de la porte.

— On y va, petit lutin !? 

Elle ne répond pas mais à l’instant où j'ouvre la porte, elle s’engouffre dans l’entrée. Pour stopper quelques pas plus loin.

—Elle est là, crie-t-elle en me désignant une porte. C’est la chambre de papa.

—Tu vois, elle n’était pas très loin. Veux-tu y entrer ?

Son mouvement de droite à gauche est relativement clair pour que je n’insiste pas. Elle se tourne vers Simon qui se trouve  juste à deux pas derrière nous.

—Tu veux voir ma chambre ?

— Bien entendu. Je te suis.

Je ne pense pas qu'il soit judicieux de la forcer aussi je la laisse avec Simon.

— As-tu fait ton propre deuil, toi ? me questionne Hugo.

— Pas vraiment. Ma priorité était Sophie.

— Je peux te poser une question ? Concernant cette maison ?

— Elle fait partie de l’héritage de Sophie. Je me suis contenté d'y prendre quelques objets utiles. Crois-tu que cela peut lui poser problème ?

— Bien sur que non. Elle est petite, ce ne sera peut-être pas plus  facile pour elle de faire un choix. Peut-être stocker certaines choses dans un box lui permettra de le faire ultérieurement. A-t-elle vécu réellement ici ?

— Pas vraiment. Mais je ne me sens pas légitime de la vendre.

— Peut-être qu'un avocat pourrait t’aider à réfléchir à cela. 
Tiens un petit lutin !

Sophie s’accroche à mon bras et me tire loin de la porte, je ne pense pas qu’elle ait envie d'y entrer.

— Aurais-tu quelque chose à me montrer, mademoiselle ?

Aucune réponse mais elle continue d’avancer, sa main fermement accrochée à la mienne. Au milieu de sa chambre, une petite pile de livres, bien rangés.

— Tu as fait tes courses !?

— Je peux les prendre ?

— Bien entendu, ils sont à toi. On va acheter des étagères pour ranger tout cela à la maison. As-tu vu autre chose que tu aimerais prendre ?

Elle ne répond rien, regarde Simon qui est assis sur le lit.

— Simon ? Nous n’avons pas le choix, il faut le ramener avec nous.

Elle éclate de rire, et récupère quelque chose dissimulé derrière Simon et me le montre, intimidée.

— Tu es d’accord ?

— Oui. J’ai la même dans ma chambre. Je ne l’ai pas accroché, j'avais peur de ta réaction. Il est très beau sur cette photo.







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