Le Jeu [Nouvelle Version]

Chapitre 4

Le cours de la journée repose sur la lecture d'un texte. Plus précisément d'une lettre. Une lettre qu'Einstein a écrite lors de la Seconde Guerre mondiale à son ami Freud et qui a pour titre "Pourquoi la guerre". Une lettre qui soulève un milliard de questions sans réponse. Einstein est l'un des personnages historiques préférés de Brook, mais, étrangement, elle n'écoute que d'une oreille le cours, le regard toujours rivé vers les gouttes qui dégoulinent le long de la fenêtre. Elle s'est amusée à parier sur laquelle des trois gouttes qui coulent actuellement va arriver en premier en bas. Elle a misé sur celle du milieu. Elle a gagné. Celle du milieu est bien arrivée en première en bas. Brook n'a pu s'empêcher de sourire devant cette victoire. Une victoire insignifiante d'un point de vue extérieur, mais qui signifie beaucoup pour elle.

Le professeur de philosophie a bien remarqué que son élève est distraite aujourd'hui. Elle qui d'habitude se fait une joie de participer et d'intervenir en posant des questions extrêmement pertinentes, est très calme. Il est déçu car cela ne faisait pas partie de l'un des scénarios qu'il avait en tête lorsqu'il a préparé ce cours. Mais tant pis. Il allait devoir faire avec. Mr Throdawts n'est pas le seul à avoir remarqué que son élève favorite n'est pas comme à l'accoutumée. Ryan Montfort, son ex-petit ami, ne cesse de lui jeter des coups d'œil rapides tout en fronçant les sourcils. Ce petit manège n'a d'ailleurs pas échappé à Lund, mais nous l'avons dit, ce n'est pour le moment pas une personne sur laquelle il est pertinent de s'attarder. Ça viendra plus tard.

« C'est n'importe quoi ! »s'exclame Avinash Chauhan sans même avoir demandé au préalable l'autorisation pour parler, mais ça ne choque personne car c'est coutumier de ne pas le faire dans le cours de philosophie. « L'homme a en lui un besoin de haine et de destruction » lit-il à voix haute.

« Ce qui est n'importe quoi, c'est que tes parents ont commis l'erreur de te mettre au monde » intervient JST avec un petit sourire en coin.

« La ferme ! » s'emporte Avinash Chauhan alors que l'intéressé lève les yeux au ciel.

« Toujours une belle répartie à ce que je vois » réplique JST. « J'ai beau leur dire qu'il y a un problème dans le casting, personne ne m'écoute. »

C'est une phrase que JST sort souvent, "problème de casting", mais qui ne fait écho dans aucune tête. Qui passe très souvent inaperçue. Dommage, car certains d'entre eux feraient bien de prêter un peu plus attention à des propos de ce type.

« Vous ne comptez pas intervenir ? » demande Lund d'un ton détaché et sans reproche au professeur de philosophie qui a l'air bien trop intéressé par cet échange.

« Mr Chauhan » s'exécute aussitôt Mr Throdawts. « Pouvez-vous nous dire en quoi cette phrase vous révolte ? »

« C'est évident, cela supposerait que nous tous présents dans cette salle, dans cette ville, dans ce monde, naissions avec des gènes de destruction et donc cela justifierait que les gens s'arment pour aller tuer des personnes innocentes. C'est n'importe quoi ! »

« Tu isoles une phrase d'un texte et tu en changes complètement le sens » intervient Esra Raif, une personne d'origine turque très appréciée de tous.

« Comment est-il possible que la masse, par les moyens que nous avons indiqués, se laisse enflammer jusqu'à la folie et au sacrifice ? Je ne vois pas d'autre réponse que celle-ci » reprend Avinash Chauhan en lisant la phrase précédente. « Contente ? », demande-t-il à l'intention de sa camarade. « Tu trouves que cela justifie de dire que les hommes naissent mauvais ? »

« Ce n'est pas vraiment ce qu'a dit Einstein » intervient Karim. « Il essaie de trouver des réponses à des situations qui, quand on y réfléchit bien, paraissent d'une absurdité déconcertante. Pourquoi les hommes partent-ils faire la guerre ? Qu'est-ce que cela leur apporte en soi ? Demain, un petit homme qui t'est complètement inconnu te dit de te sacrifier pour des raisons bidon, te vois-tu le faire ? »