IX - La communion des racines

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   Je me jette d'une branche à une autre, accompagnant Sélène, pour sa communion aux racines. Les lueurs violacées du couché drapent encore ce ciel d'aurore nocturne.

   — Je ne savais pas que ça me prendrait tout hier pour redescendre de l'arbre-monde.

   — Je sais.

   — Je m'en veux d'avoir raté ta dernière nuit dans ton corps.

   — T'en vouloir, pourquoi ? Tu as fait ce qui est Bien, en ramenant la feuille à cet humain.

   Elle ne...

   On glisse le long d'une immense feuille verte, jusqu'à poser pieds au sol. Aux abords du ruisseau qui jaillit et entoure l'arbre-monde. Tous les corps d'elfes du village sont, pour la première fois, les pieds sur la terre. Ils longent et entourent le ruisseau. Ils contemplent Sélène qui glisse son pied dans l'eau.

   Je ne peux pas l'accompagner plus loin.

   J'espère que les elfes ne vont pas encore tous se dire que c'est la faute du petit d'humain qu'elle est en retard...

   Je sens mon ami sanglier se frotter contre ma jambe droite.

   Sélène s'immerge dans la brume du mycélium. Elle atteint les rivages de l'ilot et s'enfonce pieds-nus sur la mousse verte, gorgée de rosée vespérale. Elle disparaît derrière une racine saillante, recouverte de fougères et de grappes de glycines bioluminescentes. Et réapparait de l'autre côté, non loin d'un hydne hérisson. Elle pose sa paume sur l'écorce de l'arbre-monde, avant de se coucher en son ruisseau, la nuque posée aux premiers enfoncements de la source et au creux de l'arbre-monde, ses cheveux devant s'entremêler aux racines. Ses yeux peuvent sûrement voir jusqu'au fond du tunnel, creusé dans le tronc.

   Je me demande ce qu'elle y voit...

*

   Elle se relève.

   C'est terminé. Elle a l'habitude de glisser dans et hors de son écorce. Cette fois-ci, c'est juste pour l'éternité. Elle fait de l'arbre-monde sa demeure.

   Une nuit, elle m'a dit : "S'incarner, c'est comme être un champignon qui fructifie, et, se désincarner, c'est comme se résorber dans le grand tout du mycète". Mais je ne sais pas ce que ça fait d'être un champignon, alors en être un qui fructifie et se résorbe, encore moins.

   Son pied glisse dans l'eau. Son corps s'éloigne de plus en plus de son esprit, à mesure qu'elle traverse les ondes du ruisseau. Elle me tend la main et je la tire sur la terre ferme.

   — Y a déjà eu des esprits qui se sont éloignés de leur arbre-monde ?

   — Les esprits-aventuriers. Certains de cette communauté vont jusqu'à traverser le fleuve et rejoindre la mangrove d'en face, pour voltiger entre les pattes des palétuviers.

   La mangrove d'en face...

   C'est loin ça ?

   On s'entraide, pour grimper l'épaisse feuille. Le sanglier nous regarde, interloqué. On parvient à se tirer jusqu'en haut de ce mont vert et, de feuille en feuille, atteindre la première branche. On passe de l'une à l'autre, en direction des rivages de cabanes, tandis que notre ami détale pour monter le colimaçon et nous rejoindre au plus vite. Je vois Hemingway, sur la terrasse.

   — T'es forte en magie élémentaire ? Tu connais un sort pour que je puisse respirer sous l'eau ?

   — Ce n'est pas de la magie élémentaire... mais oui, c'est un des sorts originels.

L'enfant de la JungleWhere stories live. Discover now