Lettre IV

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"Vendredi 20 octobre,

Une semaine, déjà une semaine que je n'ai plus de nouvelles de vous. Parfois, j'ai l'impression d'être un intrus ici, comme un être invisible, on ne fait pas attention à moi, certains jours on oublie même mes repas !

À part ce carnet, je n'ai personne à qui parler. S'il y avait des statues, elles ne se différencieraient pas de nos gardes en marbre, et paraîtraient sûrement plus chaleureuses. Toujours droits, neutres, éteints, un mur serait plus bavard que nos surveillants austères.

Je crains un jour de finir muet à force de ne jamais parler, et quoi de plus horrible que de ne plus pouvoir s'exprimer ?

Imaginez qu'un jour, je sois incapable d'articuler, que mes mots restent au fond de ma gorge. Alors l'alphabet serait ma véritable voix, et mon stylo un mégaphone. Mais qui écoutera mon carnet ? Vous ? Du moins je l'espère.

Écrire, c'est m'enregistrer, mais mon fichier audio capté à la plume n'est pas comme les autres, il doit se différencier, ma voix ne doit pas se perdre dans la foule, mon cri doit retentir dans chaque oreille ! Je veux que mes chants passent de génération en génération, et que jamais, au grand jamais, ils ne tombent dans l'oubli.

Je veux qu'on se souvienne du timbre de mes lettres, du ton de mes syllabes, et de l'air que forment mes phrases toutes assemblées.

Alors que je vous écris, le soleil part pour l'autre bout du monde, laissant son rôle de gardien à la lune. J'aimerais tant suivre sa lueur, me baigner dans ses rayons, mais c'est comme si les étoiles ne me lâchent plus, qu'elles ne me laissent plus voir le jour. J'ai beau me réveiller à l'aurore, le soleil ne semble pas se lever. J'entonne une nouvelle journée tandis que lui, depuis quelque temps commence à hiberner.

Il me tarde tant de pouvoir enfin sortir de cette cage, de vous retrouver, vous, les étoiles de mon ciel, celles qui me font me lever le matin.

Je ne suis pas idiot, plus les années passent, plus je sais que la porte s'éloigne.

Mais je garde espoir qu'un jour vous libériez les mots de mes lettres et qu'ainsi vous me libériez aussi.

Je vous embrasse fort les enfants."


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