sept - Myriam

353 44 9
                                    

J'ai terminé de défaire ma valise et je suis allée m'adosser contre l'encadrement de la baie vitrée, pensive.

J'ai observé l'immeuble d'en face, bien éclairé par les réverbères. "Notre rue a vraiment belle allure", ai-je songé.

Et puis je suis soudainement revenue à la réalité. Je n'habitais pas ici. Je n'en étais même pas propriétaire, je ne l'avais jamais souhaité. Cet appartement hors de prix, en plein centre de Bordeaux, n'avait jamais été chez moi. Yann l'avait choisi lui-même, au-dessus de ses moyens, un peu avant la naissance de Lina.

Je me suis dirigée jusqu'à la cuisine, sortant ma cigarette électronique de mon sac et mon téléphone par la même occasion. J'avais envie de prendre le frais.

J'ai ouvert la baie vitrée coulissante et me suis glissée sur le balcon, avant de refermer la baie derrière moi.

Allumant ma cigarette, je me suis accoudée contre la balustrade en fer forgé. Tout au fond de moi, je savais ce que j'avais envie de faire, mais je continuais de lutter contre cette lubie nouvelle que j'avais de vouloir tenir Esmée au courant. C'était ridicule.

J'ai réfléchi quelques minutes aux sujets de TD que j'allais donner à étudier à mes L2 lorsqu'on aborderait le thème suivant. J'avais feuilleté quelques articles intéressants mais très techniques, donc potentiellement décourageants pour mes ouailles que je ne souhaitais pas effrayer.

Ça m'a occupée un moment, et puis mon esprit est revenu de nouveau à Esmée. Manifestement, elle faisait maintenant partie à part-entière de ma vie sans même que j'ai eu mon mot à dire.

J'ai levé les yeux au ciel, et je me suis résignée. J'ai rangé ma cigarette électronique et sorti mon téléphone de ma poche. Je l'ai regardé une seconde ou deux, hésitante, car je savais qu'après la soirée que je venais de passer, je n'avais pas les idées très claires.

J'ai finalement cherché son numéro dans mes contacts, et j'ai approché l'appareil de mon oreille.

-Bonsoir Myriam ! a-t-elle dit en décrochant après deux tonalités.

Elle semblait à la fois heureuse et surprise de m'entendre.

-Bonsoir Esmée, je suis désolée de te déranger à une heure si tardive...

-Est-ce que tout va bien ? s'est-elle inquiétée, sans doute en entendant ma voix basse.

-Oui oui, tout va bien, ai-je menti. Je voulais simplement prendre des nouvelles, puisqu'on ne se voit pas demain...

Je ne savais pas ce que j'aurais pu lui dire d'autre, de toute façon.

-Eh bien, j'ai enfin réussi à écrire ce nouveau chapitre qui me donnait du fil à retordre, celui que j'ai travaillé samedi dernier, donc on peut dire que les choses vont bien, a-t-elle ri. J'ai fait trois piges cette semaine, dont une qui parlait d'une étrange histoire de chien à Abbeville, je te raconterai à l'occasion... Rien de très intéressant en somme. En Somme. Tu l'as ?

J'ai ri avec elle, et le poids de cette soirée s'est soudain allégé par la même occasion. Esmée s'est excusée :

-C'était affreusement nul, comme jeu de mots, mais bon tu m'appelles tard, je peux mettre ça sur le compte de la fatigue.

-Je l'ai trouvé pas mal, sans rire, mais je suppose que tu t'en sers souvent, c'est un peu tricher, l'ai-je taquinée.

-Et toi alors, ce retour en terres bordelaises ? Tout se passe bien ?

Au même moment, Yann a crié depuis le salon, me faisant sursauter.

-Qui te téléphone à une heure pareille ? Non mais tu te fous de moi ?

Drache poétique [gxg]Where stories live. Discover now