Chapitre 34

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Ils s'étaient habitués à cette odeur plus facilement que prévu. Louis rattache son collier avec sa plaque et désormais sa bague de fiançailles. Il s'arrêta quelques secondes pour fixer ces deux artéfacts qui ne collent pas ensemble. Ils étaient bien trop différents pour songer à les comparer ou les liés. L'un était représentatif de la mort en personne, tant dis que l'autre était relié à l'amour et au bonheur. Il lâcha sans vergogne les deux morceaux qui retombent pour rebondir sur sa poitrine avant de se stabiliser :

"Vous êtes marié ?"

Se sentant visé, le blond tourna la tête rapidement. Un soldat qui semblait encore plus jeune que lui regardait sa bague d'un oeil attendri :

"Oui."

Les yeux de l'enfant se mirent à pétiller. Il avait presque l'impression que ce simple cercle -qui signifie énormément- était un joyau béni aux yeux de tous :

"Vous ne l'êtes pas ?

-J'ai à peine 16 ans, je n'ai pas eu le temps de trouver de femme à chérir."

Cette réponse eut l'effet d'un poignard en plein cœur. Il n'avait même pas vécu, il n'a pas fait d'étude et il n'a pas aimé. Un sentiment de désolation l'envahit, regardant l'enfant avec un peu de pitié, même si ce n'était pas ce qu'il voulait. Le jeune le ressentit et de l'anxiété pu se lire dans ses gestes :

"J'ai eu une belle enfance, une famille aimante. Je m'en vois ravie ! Je suis ici pour faire perdurer leur bonheur."

La sensibilité du blond ressortit à nouveau. Cela ne faisait même pas une journée qu'il était là, qu'il avait failli pleurer une vingtaine de fois. Cette fois, c'était la première sans Thomas à côté de lui. Ce brun qui ne cessait de le coller avait disparu depuis une trentaine de minutes, le laissant seul dans la crevasse qu'il s'apprêtait à quitter :

"Je sors, tu m'accompagnes ?"

Le jeunot acquiesça avec un faux sourire. Il entame le pas pour suivre son aîné jusqu'à la sortie, sous les regards de ceux qui cherchent à se reposer :

"Tu t'appelles comment ?

-Timoté. Et vous ?"

Sous le vouvoiement, il se sentit comme une personne âgée de quarante ans, un sourire crispé s'affichant sur ses lèvres :

"Louis. Je te tutoie donc tu peux aussi me tutoyer en retour."

Timoté sourit de plus belle, semblant plus sincère. Une grosse carrure s'arrête à cet instant juste devant eux, refroidissant le plus jeune qui vient se cacher discrètement derrière Louis, marmonnant dans sa barbe quelque chose que seul le blond peut entendre : "l'homme à la cicatrice...". Il pouffe amusé en songeant au fait que Thomas puisse autant effrayer ce garçon. Il est vrai que cette cicatrice lui donnait un air froid mais il n'en était rien :

"Je venais te chercher...

-Tu étais où ?"

Voyant le blond discuter normalement avec ce grand brun à la cicatrice, Timoté comprit alors qu'il n'était pas si effrayant que ça, sortant un peu de sa cachette. Il assistait à la scène de remontrance qui avait lieu sous ses yeux. Louis reprochait au brun d'être partie en l'abandonnant tout seul. Il était alors facile de deviner que ces deux-là étaient très proches, un peu comme des frères, d'après ses yeux d'enfants de seize ans.

Ce qui le perturba le plus c'est cette réaction nounours du plus imposant des deux, comme s'il se sentait désolé et cherchait au mieux à rassurer et s'excuser auprès de Louis avec une voix enfantine :

"Vous êtes amusants tous les deux !"

Le duo tourne la tête pour fixer le jeunot qui se met à rire seul, rapidement accompagné par d'autres soldats qui écoutaient aussi la querelle qui avait lieu sous leurs yeux. Le blond se sentit mal à l'aise, cachant son visage rougissant. Thomas était lui aussi amusé d'abord par la réaction des soldats autour, mais aussi par celle de son amant :

"Vous semblez plutôt proche...

-On est des coéquipiers de guerre depuis trois ans maintenant."

Tout semble plus cohérent désormais, pour ceux autour. Il était logique qu'au bout de tout ce temps, deux personnes se rapprochent :

"Moi j'ai une question à vous poser, comment avez-vous eu cette grande cicatrice ?"

Quelques heures auparavant, Louis n'aurait jamais pensé voir autant d'enthousiasme. Il avait l'impression d'avoir à faire avec d'autres soldats, pas ceux de son arrivée. D'un autre côté, ça le rassurait :

"Nous étions dans l'équipe de reprise de Reims, on a dû se battre contre deux soldats allemands au corps-à-corps."

Beaucoup se rapprochent afin d'écouter cette histoire, certains sortant fraîchement de la tente font de même et rapidement une quinzaine de soldats en tenue bleu écoutaient Thomas d'une oreille attentive. Le brun prit du galon, exagérant certains passages sous l'attention exaspérée de celui qui était avec lui :

"J'ai eu ça et Louis s'est fait poignardé dans le ventre. On a dû sauter la Vesle pour s'en sortir et les jours d'après, on a marché pour rejoindre le camp français le plus proche."

Ils étaient ébahis, pivotant rapidement leur attention vers Louis, un air impatient qui se mélangeait à la curiosité. Le blond se sentit agressé, ne comprenant pas ce qu'ils attendaient :

"Montre nous ta cicatrice aussi !"

L'irritation survient dans les traits du grand brun à l'instant où Louis ouvre sa veste, soulève son haut dévoilant une partie de son ventre. Ils ouvraient tous la bouche, il avait l'impression de leur présenter un morceau de steak avec une sauce bien juteuse. Certains plus curieux approchaient leurs mains baladeuses, c'est sans compter sur Thomas qui les retient d'un simple geste de la main. Il vient rapidement baisser le bras de Louis et fermer sa veste sous le regard surprit de tous les autres. Louis lui-même restait figé, cherchant à comprendre l'origine de ce comportement soudain. Quand l'ancien retraité eut bien attacher la veste, il affiche un air fier se tournant prêt à se justifier :

"Il n'aime pas qu'on le touche."

Le blond resta de marbre, planté sur ses jambes plusieurs secondes. Il se demande vraiment si cet argument pourrave allait suffire pour démentir sa profonde jalousie. Les autres ne seront pas si stupides ? En voyant les hochements de tête, ils semblaient convaincus par ces absurdités laissant Louis vraiment perplexe.

L'histoire terminée, d'autres prennent la parole pour raconter leur aventure eux aussi. Comme si partager leur histoire avant la mort les apaisait.

Une fois toute l'attention écopée sur un soldat qui racontait la fois où son village s'est fait bombarder, Louis força sur l'épaule de son amant pour le faire se pencher et atteindre son oreille :

"La jalousie est un vilain défaut."

D'un air mi-angélique, mi-amusé, il souriait en regardant le brun se décomposer. Thomas pouffa avant se pencher à son tour à l'oreille de son bien-aimé :

"Si nous étions à Barran, tu aurais regretté cette phrase."

La première pensée du blond était qu'il voulait la regretter. Cette simple pensée le fit rougir tout seul, amusant de plus bel Thomas. Ils commencèrent à se taquiner, se chercher mutuellement et chacun leur tour oubliant presque que d'ici quelques jours, ils allaient devoir monter une échelle qui les mènerait probablement droit sur la mort.

C'est toi que je ne déteste pasWhere stories live. Discover now