kolapsia

Section Y

Les corps se font emporter par le large. Les membres de la section Y. Chaque vague qui se brise sur les roches brise un peu plus le silence, mais il revient toujours plus pesant qu'avant. De toute façon, prononcer un discours serait inutile, pour dire quoi ? Qu'ils se sont bien battus jusqu'au bout ? Personne n'était là pour le voir, mais tout le monde le sait. Une dizaine de radeaux prennent le large, l'autre dizaine des dépouilles n'a pas été retrouvée ou rapportée, mais cela n'a plus d'importance. Faute de temps, on ne peut pas les enterrer. A l'heure qu'il est, chaque membre doit être séparé de son noyau, chaque morceau de chair doit être en putréfaction ou déchiqueter.

Je tourne la tête vers Mika, il est le plus proche de l'océan, sa posture est droite, il n'est pas ici en tant que Mika, mais en tant que représentant des sections du district 2, en tant que commandant. Je ne le vois que de dos mais je sais que cette fois, il ne sourit pas. Je me demande si chaque corps qu'il voit prendre le large lui fait détester un peu plus l'odeur salée de la mer qu'il aime tant. Si chaque corps qu'il voit s'en aller au loin le fait se détester un peu plus car personne ne sera jamais à la hauteur, pas même lui. A ses côtés se tient l'unique survivant de la section Y. Personne ne sait où il était, personne ne lui demandera. Qui lui en voudrait d'être toujours en vie ? Qui ? Il ne semble pas pleurer, à vrai dire, il ne semble pas plus désintéressé que d'habitude. Mais c'est toujours plus dur pour ceux qui restent. Comment il s'appelle déjà ? Dax ? Rex ? Quelle importance ? Le ciel commence à être menaçant, la majorité des personnes présentes font marche arrière. Évidemment, il ne faudrait pas être mouillés en ces temps de funérailles. L'atmosphère salée se charge d'électricité, les vagues se font plus dense, non loin de là, le toner gronde déjà. Des pas s'approchent et je concentre toute mon énergie à ne pas faire rouler mes yeux. Sans surprise c'est Arc et son fameux sourire scotché au visage. Jeff le talonne, lui aussi doit rentrer, il a beaucoup à faire;
-Shay, je m'efforce de rendre un sourire à mon chef de section
-Tu devrais rentrer, me conseille Jeff, il ne va pas tarder à pleuvoir et tu as bientôt une expédition.
J'opine du chef, les deux hommes poursuivent déjà leur discussion en s'éloignant.

Je reste là un moment à contempler les barques lutter contre les vagues, certaines se retournent, certaines rebroussent chemin, certaines parviennent tant bien que mal à se frayer un chemin parmi les flots. Je ne l'ai connaissait pas forcément pourtant je sais que chaque membre de chaque section pourrait donner sa vie pour Milithium, et j'en ferais de même. La compagnie des morts m'est plus agréable que celles des vivants ces derniers temps, mais j'aime Milethium. La pluie commence à tomber, elle sera bientôt accompagnée par un orage, la mer s'agite, les vagues se mêlent entre elles dans un chaos harmonieux.

Au loin, les barques ont disparu.

Aujourd'hui le réfectoire est plus vide que d'habitude mais il n'en est pas moins bruyant.
Je m'installe à une des tables des extrémités pour repartir plus facilement ou peut-être pour éviter d'être dérangé. Projet trop ambitieux et raté : un plato frappe le mien dans un fracas.
-Il aurait pu te remercier. Arc se penche vers moi et finit par s'asseoir pour ne pas parler trop fort avant de continuer ;
-Il ne seras jamais pointé du doigts pour avoir laisser ses camarades crever. Non, ca, tu l'as fait en première. C'est un titre réservé spécialement pour toi par les civils. Malgré sa rapproche, son ton sonne plutôt amusé.
-En parlant des civils, pourquoi tu t'obstine a faire comme si rien n'avait changé ?
Contrairement à lui, je ne baisse pas de ton, mais ma critique passe inaperçue dans le brouha ambiant.
Il me lorgne, plante sa fourchette dans ma viande, puis part en quatrième vitesse avant que je n'ai le temps de lui dédier mon plus beau croche-patte.

Je reste en face à face avec mes navets pendant que le réfectoire se vide, à le maudire de l'intérieur. Il fallait que ça tombe sur les navets aujourd'hui.