22 - Ô douce souffrance

166 7 70
                                    





Sofía, 15 ans


Les serres de glace tranchantes de l'effroi sont profondément ancrées aux sous-couches de mes chairs. Elles les meurtrissent, les perforent et empêchent à mon cœur déjà bien amoché de battre sereinement. C'est si douloureux que respirer me brûle davantage la poitrine, si handicapant que mon corps entier me fait souffrir le martyre. Je tremble comme une feuille au gré du vent. Mes intestins tressautent et je suis prise d'un haut le cœur assez aigre pour me forcer à m'arrêter. Est-ce ainsi qu'un cœur brisé se manifeste ? Non, je ne crois pas. Je n'en sais rien. Je guigne de pleurnicher, rentrer à la maison, m'enfoncer dans mon matelas, enroulée de ma couette et ne plus jamais me réveiller.

Je titube jusqu'à la porte d'entrée, les lumières m'aveuglent et le voile de larmes qui tapisse mes orbes m'empêche de discerner les visages de ceux qui m'entourent. La pièce pullule de monde et je bouscule quelqu'un sans prendre la peine de m'excuser tout en persistant à contenir la boule qui enfle et enfle et enfle derrière ma langue sèche. Je porte mon avant-bras à mon visage et me rends compte avec horreur que, sans que je ne m'en rende compte, mes larmes ruissellent jusque dans mon cou dégagé. J'étouffe, j'ai trop mal, je suis déboussolée et me retrouve dans le jardin complètement hagarde.

C'est son rire que je reconnais lorsque je fonce sur lui. Kareem fronce les sourcils en me voyant arriver, fourrant son verre dans les mains du mec avec qui il discutait. Inquiet, il m'attrape par le coude et se baisse à ma hauteur tandis qu'il cherche mon regard avec insistance.

— Dépose-moi à la maison, geins-je, minable.

— Que se passe-t-il ? Quelqu'un t'a fait du mal ?

Je nie d'un mouvement de tête, peu sûre de contenir mes sanglots plus longtemps. Je ne m'avilirai pas devant ces gens.

— Je t'en prie, fais juste ce que je demande.

J'ai l'air assez pitoyable pour qu'il referme ma main sur ses clés de voiture et me somme d'aller l'attendre dedans, tandis qu'il part à la recherche de Jo.

Je trottine, bien heureuse d'avoir un refuge dans lequel je peux trahir mon flegme et fléchir à ma guise sans risquer de me faire juger. Et c'est ce qu'il se déroule lorsqu'assise sur la banquète arrière, j'ouvre les vannes de ma désolation. Je sanglote : trahie, blessée, déçue, meurtrie au plus profond de moi. J'enfonce mes ongles dans mon cuir chevelu, supplie à ma poitrine oppressée de me laisser suffisamment d'air pour respirer. J'ai tellement mal que des crampes d'estomac me plient en deux et que ma respiration siffle, je ahane à la recherche d'oxygène alors que les parois de l'habitacle semblent se refermer sur moi.

Quel misérable spectacle...

J'aurais aimé avoir plus de temps quand les ombres de mes deux amis se dessinent de chaque côté de la voiture alors qu'ils s'apprêtent à y monter. Ils s'installent, toutefois Kareem n'a pas le temps de mettre le contact que quelqu'un cogne comme un bourrin sur le carreau à moitié baissé de Joaquin.

— Démarre, ordonne ma voix brisée.

Je n'ai pas relevé la tête et mes cheveux dissimulent mon visage honteux, peint de cette affliction humiliante.

— Ne t'avise pas de l'écouter.

Penché en avant, les sourcils froncés, ses yeux sombres restent braqués sur moi et l'éclat lumineux de la médaille qui pend de son cou m'aveugle brièvement. La mine patibulaire, il a l'air en rogne quand il n'a aucun droit de l'être ni d'en manifester l'attitude, contrairement à moi et ma fierté bafouée, mon cœur en lambeaux et mon âme dévastée.

Pour sauver ton âmeWhere stories live. Discover now