fragment numéro 19

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« Lorsqu'il ouvrit les yeux, Ronan le regardait, comme il le faisait depuis des mois. Adam accrocha son regard dans le sien, comme il l'avait fait depuis des mois. »

Jours avant l'accident : 220.

J'ai toujours voulu faire de l'Urbex, j'avais juste personne pour m'accompagner, dis-je tandis que Thaïs et moi nous dirigeons vers le premier site que nous avons choisi.

— Maintenant t'as quelqu'un qui veut aussi !

En tant que passionnés de street art et de tags, évidemment que notre prochaine étape à Thaïs et moi, c'est une maison abandonnée remplie de graffitis. Personne n'a idée à quel point ce genre de site sont des mines artistiques hors du commun. Dans mon sac à dos, j'ai des bombes de peintures, et j'ai une lampe de poche dans la main. Notre seul souci, c'est de ne pas se faire choper par les flics, mais on commence à s'habituer à devoir passer sous leurs radars, Thaïs et moi.

Je me demande ce que ma sœur penserait de moi (et de Thaïs) si elle savait ce que je passais mon temps à faire les samedis soir où je fais le mur. La plupart du temps, je trouve une excuse bête, en mode je dors chez Thaïs, et elle l'avale, parce qu'évidemment qu'elle me fait méga confiance, je veux dire, c'est ma sœur et on ne s'est jamais rien caché. J'ai toujours été le premier à être au courant quand il y avait du nouveau entre elle et Mya, et elle a toujours été là première à savoir ce qu'il se passait avec Thaïs (à l'époque, pas grand chose) même si elle n'a jamais été au courant de ma haine pour notre père ou de ce truc bizarre qui fait que je passe la plupart de mes journées à rêver éveillé.

Malgré tout ça, je sens qu'en ce moment on s'éloigne beaucoup l'un de l'autre, et ça me fait vraiment de la peine. J'ai la chance d'avoir toujours été proche de ma sœur, et ça me fait de la peine de me rendre compte que ce ne sera peut-être pas toujours le cas.

— Tu vois des policiers pas loin ?

Je balaie ma lampe torche dans les environs mais ne voit rien, que des hautes herbes qui recouvrent le bas des bâtiments. L'immeuble est très grand, avec d'immenses escaliers, et les murs sont effondrés, mais il y a des tags de partout, et ça me fait jubiler.

— Non, y'a que dalle.

— Nickel.

On monte les escaliers en admirant les murs. Il y a des dessins, des tags qui ne veulent absolument rien dire mais qui restent beaux, des trucs de gauchistes qui sont venus gueuler contre Macron. Il y a un truc particulier à propos du street art, selon moi — le fait que ça soit le genre d'art auquel tout le monde peut participer. Le fait que ça soit un art politique avant tout, créé pour montrer que ouais, on s'en fout que ce soit illégal de taguer sur des murs, on le fait quand même, parce qu'on s'en fiche du gouvernement. Peut-être que c'est un truc de gauchiste, de kiffer le street art, au final, mais moi ça me fait vivre.

Je m'assieds sur le sol et commence à sortir ma bombe de peinture rouge du sac. Thaïs me regarde en haussant un sourcil.

— Pourquoi tu t'assieds par terre ? T'as pas vu toute la poussière ?

Je hausse les épaules.

— Depuis quand t'en as quelque chose à faire de salir tes habits ?

— Pas faux, dit-il en me rejoignant. Je peux commencer ?

J'acquiesce en lui tendant la bombe. Il trace Souriez, vous êtes vivants, et ça fonctionne parce que je souris malgré moi, même en sachant qu'il est allé chercher ça sur internet et que c'est loin d'être original. Il signe avec son habituel signe du néant, mais cette fois je sais ce qu'il signifie, et ça fait quelque chose dans mon estomac.

La cabane en haut de l'arbre | TERMINÉE Where stories live. Discover now