Chapitre 9 : Jeanne

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"La solitude, l'isolement, sont des choses douloureuses, et au de-là de l'endurance humaine."

Jules Verne

Elle était forte, presque indestructible et invincible. On avait bien tenté de la détruire pour la reconstruire, puis lors de la guerre, de l'achever pour apparaître comme un sauveur. Rien n'avait fonctionné : c'était elle qui les avait abattus. Mais derrière les apparences, elle était terrifiée. Ses murs opaques et défensifs laissaient apparaître des fissures vers l'intérieur. Après tout, elle n'était qu'une enfant. Ils n'étaient tous que des gamins inexpérimentés ayant vu trop d'horreurs. La seule personne qui avait été une constante dans sa vie, et l'avait aidé à chaque fois c'était Lord Rutheven.

Au début, elle l'avait crut aveuglément : c'était son mentor, et son tout. Il lui avait offert le monde, à elle qui n'avait rien. Et puis un jour, le joli édifice qu'elle avait dressé pour son mentor c'était cassé. Elle s'était réveillée dans une nouvelle époque, avec de nouvelles mœurs sans savoir pourquoi. Et depuis ce temps l'envie de sang était plus qu'habituelle, elle était récalcitrante. Elle se disait bien que son coma y était pour quelque chose, mais le dire c'était se mettre son maître à dos. Et elle n'avait pas le pouvoir de se battre contre lui.

Alors, elle n'avait rien dit, jouant le jeu à chacune de ses missions, acceptant de protéger son neveu, se comportant comme une petite poupée (si elle devait être honnête, elle se serait plus comparée à un pantin relié par diverses ficelles). Souriant poliment devant chaque demande, s'inclinant comme son ombre apparaissait, et se relevant pour accéder à chacun de ses plans.

Et un jour, tout avait changé. Un humain doté d'orgueil et de culot l'avait fait évolué, lui avait donné les clefs pour comprendre l'amour. Elle les avait récupérées, et soigneusement cachées dans son cœur. Vanitas l'avait fait sourire, l'avait faire rougir, l'avait mise en colère, l'avait rendue triste, l'avait inquiétée, et peut-être même, l'avait aimée. Elle ne parvenait jamais à trouver le sens derrière ses expressions, mais elle avait appris à les accepter et les avaient mêmes aimées. Pourtant, le trousseau que le médecin lui avait donné, n'était pas le bon pour ouvrir son cœur.

Et puis, une nuit magnifique, elle l'avait vue. Elle avait vu cette ange déchue, l'avait attrapée, et avait compris pourquoi la clef ne rentrait pas. Elle était destinée à un autre cœur emprisonné, à une jeune femme (s'il fallait être précis) au sourire céleste, et aux lèvres démoniaques. Depuis cette soirée, elle ne pensait plus qu'à elle, à l'héritière des de Sade ! Ses lèvres se recourbaient en un sourire à la simple mention de son nom dans une conversation, et ses mains rêvaient de parcourir son dos. Elle avait soif d'elle. Soif de son cou, soif de ses rires, soif de ses rêves aussi, soif d'elle.

Elle repensait à leur rencontre à l'hôtel Chouchou d'il y a 1 semaine, repensait à ses silences qui avouaient tout, repensait à sa déclaration qui n'en disait pas assez mais qui suggérait tout.

﴾ ﴿

Jeanne était toujours plongée dans ses réflexions lorsque la porte boisé conduisant au bureau de son maître s'ouvrit. Une légère angoisse l'envahit en s'avançant vers la pièce remplit de livres. Elle n'avait qu'une seule issue, et une seule même entrée (elle l'avait déjà vérifiée des centaines de fois), même les fenêtres étaient factices, seulement là pour donner un sentiment de sécurité. Mais elle savait la vérité, et ces vitres ne lui inspiraient plus que de l'effroi. S'efforçant de se calmer, la jeune femme commença à compter une suite particulière : 1-1-2-3 -5*, le silence de son esprit était comblée, et elle, elle était rassurée.

Elle jeta un coup d'œil circulaire à l'espace devant elle, et se rendit compte qu'il était différent de d'habitude. Les meubles organisés avaient été déplacés avec brusquerie, elle parvenait à distinguer des stries tout le long des plaques en bois. La marqueterie était irrémédiablement abîmée, elle semblait impossible à réparer. Des dossiers jonchaient le sol, des crayons s'éparpillaient par tout, et des taches d'encres se laissaient distinguer aux 4 coins du lieu.

L'homme debout face à une des vitres se retourna brusquement, son unique œil la transperçant. Il lui sourit gaiement, et s'approchant d'elle, l'invita à s'asseoir devant lui. Refusant le siège qui lui était offert, et se calant sur ses pieds, Jeanne attendait. Il ne fallait jamais tomber dans le piège de Rutheven; s'asseoir à ses côtés c'était accepté tout ce qu'il voulait, c'était être prisonnière de ses intentions, à lui. Alors, la jeune femme debout se mit continuer de réciter la suite dans sa tête, attendant silencieusement les ordres. 8-13

Le vampire commença ainsi à expliquer la raison de la venue de la jeune fille ici, pour exprimer ses missions il était toujours très clair, allant directement au but, c'était la première fois qu'elle le voyait hésitant :

"Jeanne, comme tu le sais sans doute, un vampire à attaquer et tuer plusieurs humains dans l'autre monde. J'aimerai que tu retrouves la trace de cette personne, et que tu me trouves un moyen de communiquer avec elle. Je ne veux pas que cette dernière soit blessée mortellement, sinon tout les moyens sont bons. Je te fais confiance pour être ... persuasive, n'hésite pas à utiliser Carpe Diem s'il le faut. Cette personne m'a volé quelque chose, je veux que tu le retrouves."

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La forme du vampire se rapprocha près d'elle, elle pouvait sentir ses cheveux tomber sur ses épaules. Elle ravala la bile qui lui montait à la bouche, c'était lui qui avait fait du mal à Chloé, et continua à regarder droit devant elle, attendant la suite des instructions.

"Le Sénat a donné les pleins pouvoirs à Luca, il est le nouveau roi de l'Altus, son couronnement sera dans quelques jours, et j'imagine que tout les deux, nous ne voulons pas que quelque chose vienne le perturber. Il est si jeune après tout, et une crise comme celle-ci serait difficile à gérer. Ta mission sera donc secrète, personne, je dis bien personne ne doit être au courant de tes investigations. Cependant, je t'autorise d'avoir une équipe pour t'épauler. Et, j'ai déjà choisi les membres de celle-ci."

55-89

"Noé Archiviste."

144

"Vanitas héritier de la Lune bleue."

233

"Dominique de Sade."

C'était trop, les chiffres se mélangeaient.

La jeune femme sentit sa tête se retourner vivement à la mention de ce nom, un sourire cruel et écœurant l'accueillit. Lord Rutheven lui fit un signe de tête pour l'inviter à sortir. Elle ne manqua pas d'entendre le rire terrible derrière la lourde porte, à peine l'eut-elle refermée.

﴾ ﴿

En trouvant son chemin depuis l'hôtel jusqu'à son lieu de repos, Jeanne bouscula une jeune femme par inattention. Elle remarqua qu'elle portait un magnifique corsage, et que ses cheveux ivoires tombaient en cascades sur le sol, ses yeux étaient aussi extraordinaires. La vampire en eut le souffle coupé en les voyant.

Se baissant pour aider la personne à terre, et pestant contre son inaction d'auparavant, elle remarqua que ses propres mains ne cessaient de trembler, agitées de soubresauts violents. Elle avait déjà vu ce genre de réaction. Seulement une fois, durant la guerre. Et elle avait prié pour ne jamais plus la voir, et pourtant elle était devant elle. Les yeux de la bourreau s'écarquillèrent d'horreur en se rendant compte de ce que cela signifiait. De son côté, la jeune femme c'était relevée et adressait un regard inquiet à la sorcière incendiaire.

Sa compagne voyait bien que quelque chose n'allait pas. Elle s'approcha à pas hésitants pour l'aider (inversant la situation d'il y a quelques instants). Et elle n'eût pas le temps de crier lorsque la vampire se jeta sur elle.

La ruelle était toujours aussi paisible que d'habitude, il n'y avait aucun bruit pour venir perturber le silence. Mais peut-être que si vous étiez un passant habitué à cette route, vous auriez aperçu une légère différence à la normale. Vous auriez sans doute remarqué que les dalles du pavé étaient plus sombres que d'habitude, et peut-être même auriez vous senti une autre chose inhabituelle : une odeur de sang.

Les souvenirs d'un ArchivisteWhere stories live. Discover now