Chapitre 38

31 5 0
                                    

Un peu plus tard dans la journée, Ben et Hope furent interpellés par une figure familière. Ils levèrent la tête et purent voir Tournesol, qui leur souriait. Ils lui rendirent son sourire. Tournesol portait deux grands sacs, qui semblaient particulièrement lourds, et Ben se proposa de l'aider. Elle accepta et les deux amis suivirent le bras droit du maire.

Tournesol marcha pendant plusieurs minutes dans le silence. Puis, elle arriva devant un petit bâtiment délabré. Elle s'assura que personne ne regardait et entra par une porte cachée. Lorsqu'enfin elle fut à l'intérieur, elle abandonna sa mine sérieuse et afficha un sourire radieux. Elle se tourna vers Ben et Hope :

-Bienvenue chez moi.

Les deux amis regardèrent les alentours. Bien qu'à l'extérieur le bâtiment était dans un état déplorable, on ne pouvait en dire autant de l'intérieur. Il y avait des bougies partout, toutes allumées pour compenser le petit nombre de fenêtres. Par terre, éparpillée, se trouvaient une multitude de jouets : des balles, des toupies, des poupées ou des jeux en bois. Encore plus beaux étaient les murs. Ils étaient en effet décorés par une multitude de dessins à la craie, certains plus beaux que d'autres. Soudain, cinq enfants de bonne humeur arrivèrent. Une toute petite fille blonde, qui ne devait pas avoir plus de trois ans, courut dans les bras de Tournesol.

-Maman !

Tournesol lui caressa délicatement la tête. Elle reprit son sac que Ben tenait et le tendit, avec celui qu'elle portait elle-même, à un garçon plus grand, à la mine sérieuse, qui devait avoir à peu près douze ans.

-Peux-tu nous préparer à manger ?

L'enfant acquiesça et repartit vers une autre salle, portant à lui seul les deux sacs. Une autre petite fille rousse, peut-être âgé de huit ans, le suivit en sautillant. Après avoir salué leur mère, les autres enfants recommencèrent à vaquer à leur occupation. Tournesol invita ensuite Ben et Hope dans une autre pièce, pour pouvoir discuter avec eux. Hope ne perdit pas un instant pour poser ses questions :

-Ces enfants, ils sont à toi ?

-Bien sûr qu'ils le sont ! Ils sont tous mes fils. Je ne suis certes pas leur mère biologique, mais les liens du sang n'ont aucune valeur. Vous devriez le savoir, Hope, puisque Gabriel, bien qu'il ne partage pas vos gênes, était votre frère.

Hope se rembrunit, honteuse d'avoir mal formulé sa question. Ben reprit le questionnement :

-Alors vous avez recueilli tous ces enfants ?

-C'est cela. Je les ai trouvés, la plupart errant sans but, et j'ai décidé de devenir leur mère. Tout enfant devrait avoir un géniteur.

-Et alors, malgré le fait que la vie au Gouffre est difficile, vous avez choisi de les adopter.

-Voilà votre problème à tous. Vous êtes trop négatifs. Certes, élever un enfant est difficile, mais le bonheur qu'on éprouve en vaut largement la peine. Parfois on a faim, parfois on a froid, souvent, on a peur et le fait qu'on soit autant sous le même toit n'arrange rien. Je ne suis qu'une mineuse qui pourrait mourir chaque jour. Alors, plutôt que penser aux conséquences lorsque je recueille un enfant, je préfère profiter de l'instant présent. Et puis, je n'ai pas cinq enfant, j'en ai six. Même sept depuis peu, d'ailleurs. L'un est malade et l'autre est à son chevet. Suivez-moi.

Tournesol emmena ses deux invités vers des escaliers, qu'elle monta. À leur sommet se trouvait une pièce, une seule. Elle poussa la porte et entra. Hope fut immédiatement frappée par la beauté de la pièce. C'était celle avec le plus de dessins, de lumière et de jeux. En son centre se trouvait un petit lit. Tournesol s'y dirigea. Un garçon s'y trouvait. Il était pâle et devait avoir treize ans. Hope retint un haut-le-cœur lorsqu'elle vit les tâches noires sur son visage. Elle regarda Tournesol et dit :

-Fièvre d'ébène...

-On fait ce qu'on peut, mais ce n'est pas facile. Lavande vient régulièrement voir les enfants. Il devrait arriver aujourd'hui, d'ailleurs. Mais à part ça, je ne peux rien faire. Or, Ethan est mon fils, comme tous les autres. Et je ne veux pas le voir mourir. Nous attendons tous sa guérison, surtout son frère jumeau, que tu as dû voir avant. Il refuse de quitter le Gouffre sans son frère.

Alors que Hope apportait tout le soutient qu'elle pouvait, le garçon qui se tenait au chevet d'Ethan se leva et la regarda de ses deux yeux bicolores. Arthur courut vers elle et l'enlaça.

-Hope, maintenant je vis ici, aves pleins de frères et sœurs.

Hope lui sourit et se tourna vers Tournesol pour avoir droit à une explication :

-Cela fait longtemps que j'ai proposé à Criss de faire venir Arthur ici. Mais il s'inquiétait pour son fils, puisqu'il ne voulait pas qu'il vive enfermé. Mais, après l'incident d'il y a peu, il est venu me supplier de le prendre quelques mois, en attendant qu'il soit prêt pour la traversée.

-J'ai l'impression que la traversée est la solution et qu'il n'y en a pas d'autres. Mes parents aussi veulent que je la fasse. Alors, il faut m'expliquer pourquoi lorsque je vous entends il m'arrive de penser que vous voulez juste vous débarrasser d'un poids.

Tournesol la regarda d'un air sévère. Quand Hope parlait ainsi, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle n'était qu'une enfant. Elle ne comprenait pas encore ce qu'être un adulte impliquait.

-Alors écoute, parce que c'est important. Lorsqu'on a un enfant, on souhaite rester avec lui pour toujours. S'en séparer, c'est vraiment douloureux. Cependant, quand faire rester des enfants implique de les mettre en danger, un parent responsable doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour les protéger. J'adopte des enfants, alors tu n'imagines pas combien j'en ai vu partir pour la traversée. Et lorsqu'ils partent, je verse certes quelques larmes, mais je souris aussi. Parce que c'est un de mes fils que j'ai pu sauver.

Je me suis occupée de plus de vingt enfants et seulement deux ont été pris par la milice. Pourtant mes enfants sont tous, comme moi, des Exclus. Dans les deux cas, c'étaient des enfants qui avaient refusé de partir. Alors même si dire adieu à ses enfants est difficile, il y a une grande différence entre les savoir en sûreté ou en danger. Lorsque j'ai rejoint la Rose Noire, je l'ai fait pour Vanessa. Alors que je n'étais qu'une enfant Exclue, elle m'a aidée à grandir et m'a permis de devenir adulte. J'ai voulu rendre la pareille à d'autres enfants. Je ne peux pas m'occuper d'autant de fils avec mes faibles moyens, alors avec d'autres membres, on s'entraide pour leur offrir un avenir. La Rose Noire, ce n'est pas que partir se battre. Moi-même ne rejoindrai pas le combat. Beaucoup d'entre nous nous contentons de rendre le royaume un peu plus juste en aidant ceux qui sont près de nous. Moi avec d'autres, j'aide les enfants en leur offrant la traversée.

Le reste de la journée fut agréable. Ben et Hope restèrent avec les enfants et jouèrent avec eux. Plus tard, Lavande arriva pour s'assurer que tous les enfants étaient en bonne santé. Il fut suivi par Criss, qui vint prendre des nouvelles de son fils. Et ainsi, dans un bâtiment délabré, toutes ces personnes qui n'avaient aucun lien de sang ressemblaient réellement à une famille.

Enfin, Hope et Ben sortirent de bonne humeur. Ils avaient, par-dessus le marché, reçu des félicitations pour leurs affiches, qui avaient eu un franc succès. L'ambiance au Gouffre avait bien changé. Les regards des gens semblaient plus vivants, les sourires plus sincères, les démarches plus assurées. En peu de temps, beaucoup avaient compris que l'entraide était la meilleure arme contre la misère et, ceux qui pouvaient se le permettre, commençaient à apporter de légères contributions. La suprématie des Bleus se faisait moins pesante. L'impression de ne vivre que pour survivre commençait à disparaître. Même le Soleil, qui commençait tout doucement à se coucher, semblait plus lumineux.

Hope sourit, heureuse. Puis, une pensée la frappa soudainement. Elle venait peut-être de côtoyer le traître de la Rose Noire, de lui parler et de rire avec lui. Mais elle n'avait pas laissé le doute et la méfiance gâcher son après-midi. Car c'était dans les moments où le bonheur était à son paroxysme que l'on s'autorisait à fermer les yeux.

La Rose NoireWhere stories live. Discover now