GLORIOUS - PIERRE GASLY

trente-trois • trente-quatre

trente-trois.

dimanche neuf octobre
deux mille vingt-deux.

La ville italienne de Cagliari est encore plongée dans la pénombre. Les premiers rayons du soleil pointent à peine à l'horizon, éclaircissant légèrement le ciel. Et pourtant, depuis plus d'une demi-heure, Louise regarde les mouvements des vagues aller et venir depuis le balcon de sa chambre d'hôtel. Le bruit des remous et les chants des oiseaux qui s'éveillent l'apaisent après cette nuit où elle n'a pas trouvé le sommeil.

Et ça l'énerve. Parce qu'elle n'arrive pas à mettre le doigt sur la source de ses insomnies. La veille, elle a pourtant fourni un effort considérable pour accrocher un top cinq lors d'une manche de coupe du monde. Une course difficile tant elle se sent fatiguée depuis quelques temps.

La triathlète évite d'évoquer ce sujet avec son entourage. Parce que la situation s'oriente inlassablement vers Pierre. Et tout le monde semble accepter qu'il lui soit difficile de se concentrer sur sa carrière quand ils viennent de mettre un terme à près de six ans de relation, et une amitié qui dure depuis toujours.

S'il lui arrive encore de pleurer en repensant aux événements du mois dernier, s'il y a encore en elle cette profonde tristesse, la jeune femme a cependant l'intime conviction que c'est loin d'être lié à son manque de performance. Elle sent que son corps est épuisé par le moindre effort qu'elle lui demande.

Elle est las d'expliquer que ce n'est pas sa rupture qui lui vaut ses déboires sportifs. Louise a cherché de l'aide. Mais elle n'a pas été écoutée. Alors elle se renferme sur elle-même en étant incapable de s'empêcher de penser que lui l'aurait comprise et épaulée.

Plus d'une fois, elle a fixé son numéro de téléphone sans se décider à l'appeler, se résignant à lui laisser l'espace qu'il a demandé. Ils n'ont pas échangé un seul mot depuis ce dimanche soir de septembre où elle a quitté l'appartement milanais sans se retourner. Pas un seul message lui permettant de gérer cette culpabilité qui la ronge alors qu'elle n'a, de cette situation, rien décidé.

La jeune femme voulait proposer des solutions.
Le pilote ne lui en a pas laissé l'occasion.

Elle devrait lui en vouloir. Elle devrait le haïr de lui reprocher d'être qui elle est. Elle devrait le maudire de la jalouser parce qu'elle a le malheur de réussir.

Mais la triathlète ne ressent qu'une immense tristesse.

Elle a perdu son copain, son pilier, son confident. Elle a perdu son meilleur ami, celui sur lequel elle a toujours pu compter durant ces vingt-cinq dernières années.

Et voilà que ses pensées la ramènent encore vers lui. Mais comment faire autrement ? C'est son humain préféré et elle est incapable de le détester.

Alors comme un automatisme, elle jette un œil à sa montre qui ne quitte jamais son poignet. Seulement quelques secondes lui sont nécessaires pour prendre en compte le décalage horaire. Louise pénètre dans sa chambre d'hôtel, quittant l'air encore frais du balcon. Elle pianote sur son ordinateur et enfourche son vélo, monté sur home trainer dans sa chambre d'hôtel pour lui permettre d'effectuer ses exercices de récupération musculaire.

Le Grand Prix de Suzuka est sur le point d'être lancé sous des trombes d'eau impressionnantes. Et elle cherche du regard la monoplace blanche. Il y en a bien une sur la grille mais c'est loin d'être celle qui demande son attention. Un plan montre finalement le français, au départ de la voie des stands. Et puis, les moteurs vrombissent, les voitures prennent leur envol, et c'est le chaos.

A l'image, des jets d'eau, des débris et une monoplace rouge qui s'encastre dans les barrières. Comme à son habitude, Louise encaisse. Elle augmente simplement la fréquence de son pédalage pour évacuer le stress qui domine sa cage thoracique. Une radio est diffusée. C'est celle de Pierre qui se plaint de n'avoir aucune visibilité. Un panneau publicitaire s'est détaché avant de venir se loger sous son aileron, l'obligeant à emprunter de nouveau la voie des stands contre de précieuses secondes.