Chapitre 27 : Retrouvailles glacées

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 Le spectacle est désolant lorsque je m'aventure sur le chemin. Autour de moi, les arbres, autrefois si fiers, semblent désormais tout petits, se tenant à l'écart, m'observant passer avec inquiétude, craignant que je ne les détruise à mon passage. La neige les rend plus accueillants, les drapant d'un manteau blanc éphémère qui fond instantanément sous l'effet des fumerolles s'élevant paresseusement du sol calciné. Et toujours ce silence, profond, me permettant d'entendre les battements chaotiques de mon cœur dans mes oreilles. Sa présence irrégulière me rassure, il me rappelle que je suis un être humain et non un monstre.

Pourtant, les monstres n'ont-ils pas eux aussi un cœur fonctionnel ? Je poursuis mon chemin, me demandant si ma quête a encore un sens. Paul connaît désormais la manière de sortir de ce prétendu subconscient, mais le démon le laissera-t-il s'échapper comme il l'a fait pour moi ? D'un autre côté, je ne suis pas pressée de me retrouver une fois de plus en leur compagnie.

Un petit soupir s'échappe de mes lèvres, se transformant en un nuage de condensation s'élevant lentement vers le ciel gris souris. Je lève les yeux, espérant qu'il me guidera à travers cette dense et squelettique canopée. Les cieux, cependant, restent muets, me toisant de leur hauteur, semblant connaître le mystère au bout de ce passage. Comme un couvercle, ils semblent m'enfermer dans ce monde qui émane, paraît-il, de mon imagination. Si c'est le cas, pourquoi est-ce aussi lugubre ? Est-ce le reflet de mon âme ? Une forêt décharnée s'étendant à perte de vue avec un ciel pesant comme une chape de plomb.

Alors que je marche, je m'imagine les âmes de ceux qui m'entourent à l'hôpital. Anne, mon doux soutien, un lac pur et transparent reflétant un magnifique firmament. Le Dr. Buile, une immense bibliothèque rangée au millimètre embaumant l'air de l'odeur douce de livres neufs. Éléonore, ma puissante amie, un volcan en pleine éruption. Et Lucien, aux yeux de corbeau, un champ de blé d'où l'on peut admirer la voie lactée sur un fond noir aussi profond.

Alors que je m'apprête à imaginer l'âme du Dr. Māyā, un hurlement déchire le calme du bois. Instinctivement, je me baisse pour courir vers un tronc noir de suie pour m'y dissimuler. C'était un cri désespéré, mais pas humain, trop strident. Quelqu'un d'autre est ici ? Est-ce un piège imaginé par l'Uxoricide pour m'attirer ?

La chair de poule envahit mes bras, provoquant un frisson qui résonne à travers tout mon corps. Respirant profondément l'air glacé pour me calmer, j'essaie de relativiser. C'est mon inconscient, et si Paul a réussi à le maîtriser, je le peux aussi. Je réprime un éclat de rire nerveux, car fixer des objectifs est simple, mais les atteindre est bien plus ardu. Comment puis-je prendre les commandes de mon subconscient ?

Une fois de plus, la puissante étreinte de la solitude et de l'impuissance m'envahit, refusant de me laisser respirer. J'étouffe sous leur emprise. C'est toujours le même refrain qui tourne en boucle, comme un vieux disque rayé. Seule, dans l'obscurité, incapable d'avancer de peur de me heurter à un obstacle insurmontable.

Soudain, un martèlement, semblable à des pas précipités, résonne tout près de moi. Les bruits proviennent de la clairière, de là d'où je viens. En un éclair,  je me précipite derrière une souche de bois mort et je m'aplatis au sol derrière elle. Calmement, sans faire le moindre bruit, je m'appuie sur mes mains laissant seulement dépasser mon front et mes yeux de ma cachette pour observer les alentours.

C'est à ce moment-là que je les distingue, ces longs cheveux ondulés presque blancs flottant dans l'air, comme au ralenti. Des picotements naissent au bout de mes doigts, comme s'ils se souvenaient de leur douceur. Mon corps, lui, semble reconnaître cette femme, car je ressens une détente et une plénitude évoquant un bonheur enfantin. C'est elle, j'en suis convaincue, celle-là même du souvenir qui m'est revenu avant la disparition de Paul. Et maintenant, elle vient de surgir devant moi, ma nourrice, avec qui je riais dans le jardin de ma maison quand j'étais enfant. Sans que je ne puisse expliquer pourquoi, je me redresse de toute ma hauteur en me remplissant mes poumons d'un maximum d'air.

ImaginaireWhere stories live. Discover now