Chapitre 4 : Manakiel

109 24 15
                                    

Manakiel se retrouva surpris de revoir son « obligé » avec une apparence aussi soignée. Il le détailla de la tête aux pieds. Sa peau lisse contrastait avec ses yeux bleus, d'un bleu si limpide que sa pupille noire rendait son regard perçant, comme s'il était constamment blasé ou étonné. Sowl avait des traits particuliers, le type de visage impossible à oublier. Tout d'abord, la couleur de sa peau, d'un blanc tout à fait surnaturel, comme s'il s'était fardé de poudre. Ensuite, son regard. Outre des cernes sombres, lui donnant un air somnolent, il semblait infiniment triste, alors que ce n'était sûrement pas le cas. Manakiel fit immédiatement le parallèle entre un pierrot ou un mime. Fascinant. Sowl l'observa d'un air impassible et replaça une mèche de ses épaisses boucles. Les ongles de ses mains d'un noir opaque avaient été soigneusement coupés.

Et tout aussi curieusement que cela puisse paraître, Manakiel dut bien admettre que cette apparence particulière était loin d'être désagréable à regarder. Du moins, du coin de l'œil. Il s'éclaircit la voix, roulant négligemment une pièce d'argent entre ses doigts agiles.

— Voilà qui est mieux.

Debout devant son bureau avec les mains dans le dos, Sowl grimaça. Cela devait probablement être de la contrariété.

— Vous ne trouvez pas ? insista le fae.

— Il n'y a pas vraiment de différence. J'effraierai toujours les gens.

Une fois la surprise passée à l'entente du timbre profond de sa voix, Manakiel répliqua avec un air espiègle :

— Et alors ?

— Et alors vous ne savez pas ce que ça fait.

— C'est juste. Je trouve ça fascinant. J'aurais aimé être effrayant.

— Vous dites ça parce que vous êtes beau. Du moins, vous pouvez au moins le faire croire aux autres.

— Je n'ai besoin d'aucun artifice pour cela, crois-moi, sourit Manakiel.

Il vit les narines de Sowl frémir, sûrement pour éviter de lui servir une réplique acerbe. Sa répartie éveilla de plus en plus son intérêt. Le démon émit un soupir à peine audible.

— Est-ce que vous vous nommez vraiment Danvilliers ? demanda-t-il. C'est un nom étrange.

— C'est comme ça qu'on m'appelle, tu devras t'en contenter, sourit le fae.

— Ça ne ressemble pas à un vrai nom, objecta Sowl.

— Parce que tu crois que Sowl en est un ?

— Je suis un démon, nos noms sont différents des autres.

— Je suis d'accord, cela ressemble souvent à des noms que l'on donnerait à son animal de compagnie.

Sowl pinça les lèvres, ce qui fit sourire davantage Manakiel.

— Mais je te rassure, cela te va très bien.

— Si vous le dites, répondit le démon d'une voix monocorde.

Du répondant, voilà qui est follement amusant. Leur collaboration promettait au moins une nouvelle source de distraction pour le fae qui croulait sous les dettes.

— La journée va être longue. Je dois me rendre à un rendez-vous. Tu devrais te reposer un peu avant mon retour en fin de matinée.

— Je n'ai pas sommeil.

— Alors reste ici pour aider Tarkin à faire les réparations. Et si tu ne sais pas bricoler, occupe-toi du ménage, madame Creda t'expliquera mieux que moi en quoi cela consiste.

— Je sais faire les deux.

— Tu vois, j'ai bien fait de t'acheter. Bonne journée, salua joyeusement le fae avant de quitter son bureau d'un pas léger.

**

Manakiel se rendit dans sa maisonnette, un peu à l'écart des autres habitations de l'Extraordinarium. Il se changea, ôta tous ses bijoux et enfila une veste moins tape à l'œil pour son rendez-vous. Il appréhendait cette entrevue. Non pas qu'il doutait de ses capacités à charmer le banquier pour lui accorder un délai de paiement, mais qu'adviendrait-il en cas de refus ? Que deviendraient ses compagnons ? Il était hors de question pour lui de quitter cet endroit. Pour aller où ? Et pour faire quoi ? S'il n'avait plus le parc, alors il n'avait plus rien. Et puis, il ne savait rien faire d'autre qu'élaborer des spectacles et faire tourner son entreprise comme il l'entendait.

Il s'observa un instant dans le miroir, un peu désabusé. Il devait obtenir ce délai, quoi qu'il lui en coûte, quitte à ensorceler son créancier. Il n'était pas à une mauvaise action près de toute façon. Et puis, Dina ne lui avait rien fait promettre à ce sujet, bien qu'elle ait évoqué cette idée en le menaçant de le tuer s'il ne négociait pas dans les règles de l'art.

— Mana ?

Dina l'attendait derrière la porte. Manakiel se força à lui adresser son plus beau sourire en lui ouvrant.

— Je ne comptais pas être en retard, Didi, assura-t-il.

— Tu as intérêt. Tu veux que je t'accompagne ?

— Inutile de me chaperonner. J'obtiendrai cet échéancier.

— Sois réglo, lui rappela son amie.

— Je ferai de mon mieux. Mais tu sais que les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite.

— Tu parles de Sowl ?

Manakiel leva les yeux au ciel. Il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle le fait qu'il était flanqué d'une personne à son service par la contrainte. C'était déjà assez pénible de le reconnaître.

— Il a l'air gentil, commenta-t-elle, l'air de rien. Essaie de ne pas le faire fuir.

— Il n'a pas vraiment le choix, rétorqua le fae.

— Tu comptes vraiment le garder ?

— Je te l'ai dit Dina, l'Extraordinarium rouvrira ses portes, coûte que coûte. C'est notre maison. C'est tout ce qu'il nous reste.

— Je sais bien.

La jeune femme soupira, résignée. Manakiel lui pressa doucement l'épaule dans l'espoir de la rassurer.

— Veille à ce qu'il ne fasse pas de bêtises en mon absence. Pour le reste, je m'en porte garant.

— C'est bien ça qui m'effraie le plus, ricana-t-elle. Enfin, nous verrons bien. Mon intuition me dit qu'il nous réservera quelques surprises, ce joli démon.

Ce que Dina appelait « son intuition » devait probablement venir de ses capacités de divination dont elle faisait fi. Elle avait toujours refusé de faire appel à ses dons, depuis le jour où elle avait prédit le décès de sa mère. Ce qu'elle ignorait, c'était qu'elle mourait de maladie alors qu'ils n'étaient encore que deux gamins sans-le-sou.

Si tu as raison, je songerai à t'obliger à reprendre tes tirages de cartes, la prévint Manakiel avec un petit rire.

— Grand dieu, jamais ! gloussa-t-elle. Allez, file avant d'être en retard. Et prends ça, je l'ai tricoté pour toi. Il fait un froid polaire, ce serait idiot que ton joli nez retroussé soit recouvert de morve.

Manakiel accepta son présent de mauvaise grâce, ce qui la fit rire. Il s'éloigna en lui adressant un geste de la main.

Rien que pour l'un de ses rires, Manakiel devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour sauver l'Extraordinarium, quitte à bafouer le peu de principes moraux qu'il lui restait.

Dina, son amie et sœur de cœur, valait au moins ça, si ce n'était pas plus.

Manakiel & Sowl (mxm)Where stories live. Discover now