Chapitre 4

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— Miss, c'est l'heure du thé.

Je levai les yeux de mon livre pour croiser le regard de Helen, dont le sourire crispé ne me disait rien qui vaille. Nous n'abordions pas le sujet, mais chacune de nous savait ce qui se passait. Ce soir-là était le grand soir. Mon premier bal de la saison. Dans le petit salon, Mère m'attendait, installée près de la cheminée. Cette dernière n'avait pas été utilisée depuis plusieurs mois ; les températures printanières suffisaient à nous réchauffer. Cependant, l'ambiance glaçante de la pièce suppliait que quelqu'un allume un feu afin de détendre les traits rigides de lady Clifford. Je vins sagement m'asseoir à ses côtés et laissai le valet de pied servir le thé. Le silence compressait ma poitrine et l'odeur désagréable qui émanait de nos tasses ne m'aidait pas à me sentir à l'aise.

— Est-ce que tout est prêt ? demanda Mère, non à moi mais à Helen qui était restée en retrait.

— Oui, Madame. Nous commencerons à habiller miss Jane dès qu'elle aura bu son thé.

— Très bien. Je veux que tout soit parfait. Lord Clifford et moi-même nous attendons à ce que Jane fasse un sans-faute pour sa première sortie dans le monde. Sa présentation a été un succès, nous ne pouvons ralentir en si bon chemin.

— Père sera présent au bal, lui aussi ? demandai-je de l'air le plus détaché que j'avais en réserve.

— Grand Dieu, non ! Je serai votre chaperon pour ce soir, mais votre père a des choses plus importantes à faire que de s'encombrer de ces mondanités.

Elle porta la porcelaine à sa bouche, mais s'arrêta avant d'atteindre ses lèvres livides et gercées, mal dissimulées derrière le rouge qu'elle avait appliqué. Elle se tint immobile une minute, comme ayant oublié ma présence. Puis, revenant précipitamment à elle, reposa sa tasse et frappa dans ses mains.

— Allons, buvez vite et montez dans votre chambre répéter vos pas de danse.

Mère avait retrouvé son air jovial et l'atmosphère se détendit en même temps qu'elle. La perspective de ce bal la rendait à la fois joyeuse et soucieuse, ce qui avait le don de rythmer l'angoisse des domestiques. Je rejoignis docilement mes appartements, suivie de près par Helen, sur le point de succomber à une crise de nerfs.

— Il nous reste tellement à faire, Milady ! Il faut vous mettre dans le bain immédiatement. Pendant que vous vous laverez, Sarah et moi ferons les derniers ajustements pour votre tenue.

Je sortis de la baignoire grelottante. Toute la maison était en effervescence. Pour ma part, je ne me sentais ni anxieuse ni excitée. J'étais aussi tiède que l'eau avec laquelle Sarah était venue me rincer les cheveux. Helen prit le relais de ma préparation, me laçant dans une envolée de jupons et de rubans.

— Une vraie divinité grecque, affirma Helen avec satisfaction, les mains sur les hanches.

Le compliment s'adressait davantage à son travail acharné plutôt qu'à ma beauté naturelle.

— Helen ! Miss Jane est attendue dans l'entrée.

C'était Mère qui criait à pleins poumons en bas des escaliers. Je me dépêchai de descendre, n'ayant pas envie que ma pauvre génitrice fasse un malaise. Elle était également très élégante dans ses froufrous colorés qui lui donnaient l'allure d'un oiseau tropical.

— Vous êtes très bien, mon enfant, dit-elle avant de m'entraîner hors de la maison. Allez, vite, vite, vite ! Nous ne pouvons pas nous permettre d'être en retard.

***

Le bal était donné par la duchesse de Hardfeild, une amie très proche de Mère. Nous fûmes accueillies par des cris de ravissement et de grandes embrassades.

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