Ce que je devrais avoir / ce que j'ai

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Je vais passer mon dimanche chez ma belle-mère, pour voir ma fille. Je l'ai vue en coup de vent mercredi et cela m'avait laissé un goût de trop peu. Ces jours sans ma Lola, c'est long. Même si ça me repose aussi, je dois bien l'avouer. C'est ça l'ambivalence maternelle. Nous voudrions du temps sans eux, mais quand nous en disposons enfin nous n'en profitons que peu parce que nos enfants nous manquent.

Après un trajet en bus et quelques minutes de marche, j'arrive enfin devant cette maison en sortie de village.

Lola me saute dessus et me couvre de ses doux bisous qui m'avaient tant manqués durant trois jours. Josiane arrive, s'essuyant les mains sur un grand tablier.

—Entre ma belle, j'en ai pour deux minutes, m'annonce-t-elle après m'avoir embrassée.

Je suis accueillie dans cette maison chaleureuse, qui sent l'amour et la bonne cuisine. Ma belle-mère me reçoit toujours aussi bien que le ferait ma propre mère.

—J'ai pensé à toi, tu sais ? Hier au marché j'ai acheté un poulet fermier. Je l'ai rôti, comme tu aimes. Et ce matin, nous avons cuisiné, dit-elle en souriant à Lola. Un gâteau au yaourt !

Comme à notre habitude, du moins en été, nous nous installons sous la tonnelle pour boire une boisson fraîche et papoter tandis que Lola court dans le jardin ombragé.

J'ai d'excellents souvenirs en ces lieux.

C'est dans ce jardin que nous avons déjeuné la première fois que Ludo m'a amenée chez ses parents. Son père était encore parmi nous à l'époque. C'est aussi dans ce jardin que nous avons fêté nos fiançailles. Et encore sur cette terrasse que Lola a fait ses premiers pas.

Pourtant, ces lieux m'évoquent aussi beaucoup de moments seule, sans Ludovic. Mon anniversaire, tombé un mardi où Ludo était en voyage. Josiane m'avait accueillie pour ne pas le fêter seule. Ces dimanches, après une dispute, quand monsieur avait décidé de rester seul à la maison. Ces goûters chez mamie, sans mon mari. Quand je viens chez Josiane, je me sens en sécurité. Elle m'écoute toujours d'une oreille attentive et, même si ses conseils sont parfois d'une autre époque, elle a toujours la volonté de m'épauler.

Finalement, je me dis que Josiane n'est pas ma belle-mère, c'est cette amie qui se trouve être la mère de mon époux.

C'est à toutes ces choses que je pense quand elle me rappelle à la réalité:

— Alors, ces journées seules, comment tu t'en sors, Laëtitia ? demande-t-elle dans un sourire.

— Ça va, ça me ramène 5 ans en arrière, c'est plutôt rigolo ! Mais sans Lola, j'ai du temps. Trop de temps. Et ça, j'ai plus l'habitude... Par moment je me sens désœuvrée !

— Quant à moi, je suis bien occupée ! Quelle énergie ma poupette ! commente Josiane en caressant les cheveux de Lola, venue boire un peu d'eau.

Elle se racle discrètement la gorge et reprend.

—Tu as eu des nouvelles de Ludo, dis-moi ?

J'aurais parié qu'elle allait demander. Avec le temps, j'ai appris à connaître tous ses tics et mimiques et, à sa légère toux avant de parler, j'aurai pu parier qu'elle hésitait à aborder ce sujet.

—Non, pas de nouvelles. Il ne répond plus à mes messages, mais je sais qu'il est bien arrivé alors...

—Il m'énerve ! C'est mon fils, hein ! Mais je ne le comprends pas, voilà, peste-t-elle. Que se passe-t-il que vous ne me dites pas, vous vous êtes disputés ? Y a eu un problème ?

—Non, aucun. Josiane ? Que vous a-t-il dit l'autre fois dans la chambre ? imposé-je, sans transition.

Elle fuit mon regard pour faire mine de s'intéresser à l'activité de Lola, qui soit dit en passant est la même depuis un quart d'heure. Bien-sûr que rien dans ce jeu de sable n'intrigue ma belle mère. Non, elle fuit la conversation. Je le sais, elle le sait, pire, elle sait que je sais !

Mon été sans allianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant