1956

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... Tac... Tic... Tac... Tic...

Entendez-vous les aiguilles de la pendule chanter dans le bureau ? fit la narratrice...

Ici, le temps s'écoule comme avant et pourtant, quelque chose diffère. Ce sont les cèdres qui frétillent et frémissent dans la forêt adjacente. C'est l'hôtel qui s'éveille à une heure dont il n'a pas l'habitude. C'est son invitée qui attend dans l'office, les mains jointes et les jambes croisées. C'est elle, sagement assise sur un fauteuil en ivoire, qui ne dit rien mais qui n'en pense pas moins...

L'apparence est soignée : sa peau est épilée, ses ongles, limés, vernis, séchés ; ses cheveux ondulent, chaque terminaison de chaque mèche boucle à la perfection, chacune des huit perles de son bracelet est finement décorée ; son parfum n'est ni trop odorant ni trop absent, mais parfaitement équilibré, et le regard est percutant, rehaussé par des cils en ailes d'aigles. Conséquence de tout cela : sa présence est pour le moins remarquée par les employés qui orbitent autour du cabinet du directeur, sachant pertinemment qu'il sera en retard, mais n'osant pas entrer par peur des représailles.

Il est d'ailleurs à l'autre bout de couloir — le haut placé, le respecté — fendant l'air à une vitesse inimaginable, devancé par une créature dont on distingue à peine la silhouette, et relié à lui par une corde si tendue qu'on ne sait plus qui maîtrise qui. Soudain, tout l'édifice s'agite. Des télégrammes sont envoyés d'un bout à l'autre des étages, tous à vos postes, il arrive, se disent les secrétaires, et il amène un chien à ses côtés ! Notifiés de son apparition, toutes et tous décampent en moins de trente secondes, le temps de plier les magazines et de faire évaporer l'odeur du sushi au soja de midi dans la salle de réception. Quelle vitesse ! s'exclament les portiers en le voyant s'élancer à pas de géant, mais où va-t-il ?

Aveuglément, l'homme au costume marron qui file vers la quarantaine, file aussi devant eux sans leur prêter attention ; il se fraye un chemin à travers les armoires posées de part et d'autre du hall, il hurle, « écartez-vous, écartez-vous ! », éraflant les murs pour anticiper la décélération et éviter la chute. Les curieux et les distraits disparaissent alors comme des insectes chassés par le vent, jusqu'à ce qu'il soit précipité dans la pièce, tiré de force par un rottweiler en rogne à travers l'entrée, l'extrémité de la laisse dans une main, et une pile de dossiers dans l'autre qui s'effondrent sur une table en désordre. Essoufflé, éreinté, plié en deux sur le mobilier, l'athlète malgré lui se redresse et maudit du regard l'animal qui ne cesse d'aboyer comme il n'est pas permis à un être vivant de le faire, lui adressant de sévères réprimandes tout en essuyant avec colère des gouttes de sueur.

— Ésope, non ! Assis ! Ah, ça suffit ! Scélérat !

Étourdi par la brutalité du voyage, l'homme mécontent replie le col de sa veste, rouge de honte, et le chien se tait, fatigué lui aussi. Puis, levant les yeux un peu plus haut, il tombe nez à nez avec cette intruse ayant infiltré le bureau, cette femme — quadragénaire, il suppose — qui fait discrètement remarquer, en tapotant l'accoudoir de son siège, qu'il lui eût fallu arriver plus tôt. Et le silence se fait...

Assise sur son fauteuil, elle l'attendait depuis plus d'un quart d'heure, mais ne se vexera pas maintenant qu'il est là ; d'ailleurs, elle se lève, perchée sur ses escarpins à quatre centimètres du sol — pas un de plus — elle se redresse et lui aussi, et ils échangent un regard, oubliant l'animal et le personnel. Embarrassé par son entrée en scène catastrophique, il ravale une bille de salive qui se coince dans sa gorge.

— Mademoiselle Owens ! s'exclame-t-il en reprenant son souffle. Une charmante demoiselle, telle qu'on me l'avait annoncé. Nous ne vous attendions pas de si tôt...
— Je vous en prie, appelez-moi Marlyne, dit-elle en souriant. Vous me rappelez mon professeur de physique...

Qui a volé le chapeau de Marlyne Owens ?Where stories live. Discover now