Chapitre 9 - Chacun nos secrets

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Amaryllis

Le temps. Si infime, si grand et inéluctable. Qu'il était effrayant, le temps, à défiler comme ça. Il était difficilement mesurable, surtout lorsqu'on a le cœur qui bat la chamade et les neurones qui moulinent. Le monde cesse de tourner, les gens de parler, la vie de bouger. On se retrouve seul à seul, à confronter nos peurs et quand on croit en avoir fini, voilà que d'autres ressurgissent. Matthew avait ses pupilles braquées sur moi, d'une intense et incompréhensible tension. Je pouvais lire en lui mon reflet et toutes mes peines. J'ai eu l'envie de pleurer. Je voulais me blottir dans ses bras, le serrer contre moi comme une bonne vieille âme que l'on a plus vu depuis longtemps.

Je voulais pleurer.

Les sens qui me restaient s'intensifiaient au contact de sa peau sur la mienne. Son souffle léger dans mon cou, son parfum brut qui titillait mon nez, mes bagues à mes doigts, la pression de mon soutien-gorge autour de mon buste. Mes cheveux chatouillaient mes clavicules et son pantalon se frottait par mégarde à ma longue jupe. Plus je le regardais et plus ma respiration était lourde et pénible à répéter. Je voulais comme il l'avait fait, poser ma main sur sa mâchoire et sentir son grain de peau. Je voulais savoir à quoi ressembler sa voix. Était-elle à l'image des loups dans les forêts ?

Oui, il me faisait penser à un loup solitaire.

Et moi, j'étais le lapin.

- Amaryllis.

Je vois ses lèvres se mouvoir à plusieurs récidives dans le vide. Je m'étais rangée à la place du spectateur et ne parvenais plus à être maître de moi-même. Il le vit et se relève. Inconsciemment, je compris qu'il alla régler l'addition. Je voulais payer ma part, pensais-je. Il revient vers moi en peu de temps et passe mes cheveux derrière mes oreilles. Il sort de sa sacoche un bonnet bordeaux et l'enfile sur ma tête.

- Il fait froid dehors.

Du bout des doigts, je viens toucher la laine du bonnet. Il était doux et réconfortant. Matthew prit précautionneusement ma main tout en la glissant dans la poche de son manteau. Nous nous dirigeons vers la sortie, il salua de nouveau le barman. J'aurais dû lui demander comment s'appeler son ami. J'étais sur qu'ils l'étaient.

Une fois dans la rue, Matthew se mit face à moi, l'air de se remémorer tout un tas de choses dont je n'avais même pas idée.

- N'attendez pas.

- Quoi ? signais-je en retour.

- D'être seule pour souffrir.

Je me mord la lèvre inférieure avant de l'humidifier. J'ai comme l'impression qu'il ne parle pas de mon rhume.

- Nous avons chacun nos secrets. Alors, souffrir en silence n'a rien d'inhabituel.

- On ne devient pas plus fort parce qu'on vit ces moments seuls Amaryllis.

- Vous êtes bien placé pour parler, je signe avec cette ironie qu'il comprit sans soucis.

Il expire, piqué par ma remarque. Je ne savais même pas de quoi je parlais. Je l'avais juste dis comme ça, pensant qu'il avait sans doute ses secrets et que c'était ça qui le rendait aussi imperméable.

- Pardon. Je ne voulais pas dire ça.

- Je sais, il me reprit la main et la cacha de nouveau dans sa poche. Il est tard, je vous ramène.

Quand nous sommes nous rapprocher ? C'est comme si nous avions sauté une étape et que je n'y avais vu que du feu. Il avait presque laissé le vouvoiement au placard comme s'il n'attendait que ça. Un peu pour briser la seule barrière qui pouvait nous séparer. C'était doux, ça me rappelait presque une glace à la vanille en plein mois d'août. C'était rafraîchissant.

Une fois dans sa voiture, il se concentra sur la route. Même si j'avais voulu communiquer, il n'aurait pas pu me répondre, ailleurs comme il était. Je voyais bien qu'il réfléchissait. Par moment, sa bouche s'ouvrait de même que si les mots voulaient sortir. Mais il n'en était rien. Elle était à peine entrouverte. Puis, un détail me pertuba.

Je ne lui avais pas dis où j'habitais.

Je pose une main sur son avant bras. Il se tourne immédiatement vers moi.

- Je ne vous ai pas dis où j'habite.

Il semble confut un instant.

- En effet. Pouvez-vous rentrer l'adresse dans le GPS ? il me demande en pointant l'écran du doigt.

- D'accord.

Je tape sur la surface tactile tandis que Matthew observe au coup par coup, la route et ce que j'écris. Nous étions déjà partis dans la bonne direction. J'imagine que les coïncidences existent vraiment. Il était néanmoins tendu et sa pomme d'Adam ne fait que descendre et remonter comme un manège en pleine ascension. Mon regard s'arrêta sur une cicatrice que je n'avais pas remarqué jusqu'à lors. Elle entaillait profondément sa nuque et remontait derrière le lobe de son oreille. Sa couleur s'était atténuée avec le temps, elle ne devait pas dater d'hier. Qu'a-t-il bien pu se faire pour avoir une telle cicatrice dans une zone aussi vulnérable ?

Lorsqu'il se tourne vers moi, je me focalise de nouveau vers la route illuminée par les lampadaires. Presque déçue, je relève que nous étions arrivés plus vite qu'espéré. Il gara sa voiture devant le portail noir de ma maison, coupa le moteur et pivota dans mon sens. Je vis sa main s'aiguiller vers le haut de mon front. Il poussa une mèche de cheveux et suiva de l'index l'endroit exact où ma peau avait était meurtrie. Il l'avait sûrement remarqué, avec le pansement que j'avais mis le lendemain de mon agression. Mais je n'en avais pas parlé, ni à lui, ni à aucuns autres enseignants. Seule ma famille et mes amies proches savaient. Et j'étais consciente que ce soir, il voulait également être dans la confidence. En y repensant, je ne trouvait pas l'idée si horrible. Étrangement, je voulais juste éviter de l'inquiéter plus que nécessaire.

- Vous avez eu peur ?

Et bizarrement, ce n'était pas la question que j'attendais.

- Disons que je n'en ai pas eu le temps.

- Vous connaissez celui qui vous a fait ça ? Et pourquoi ?

- Non, pas du tout. Ma famille et moi avons porté une main courante. C'est tout ce que nous avons pu faire. Je ne l'ai pas vu, ni... entendu venir. Ça a été très rapide.

- Comment vous a-t-il blessée ? sa mâchoire se contracta et les veines de son coup décuplèrent.

- Une bouteille en verre, en guise de batte de base-ball.

J'essayais d'y mettre un peu d'humour mais ça n'arrangea en rien son humeur. J'avais en quelque sorte attisé son courroux et je n'aurais pas été étonné si des crocs ou des griffes lui avaient poussés. Je lisais trop de livres fantaisistes.

- Laissez-moi vous raccompagner Amaryllis.

- Je peux prendre le bus.

- Je sais que vous le pouvez. Mais je sais aussi, qu'il peut de nouveau s'en prendre à vous.

Il s'approche tout en gardant une distance raisonnable.

- Je ne minimise pas votre capacité à être autonome. J'ai confiance en vous, c'est en lui que je ne crois pas, dit-il bougeant ses mains avec élégance.

- Pourquoi ? Nous nous connaissons à peine.

- Parce que mon cœur me le dit.

C'est avec ces mots et une main sur la poitrine, que cette soirée se termina.

𝐋𝐘𝐈𝐍𝐆 𝐅𝐎𝐑 𝐘𝐎𝐔Where stories live. Discover now