Chapitre 2 : Caché dans le noir

22 5 9
                                    

Samaël

Dans mon royaume, la notion de temps n'existe pas. Il s'étire, sans fin. Mais tout de même... J'ai une vague idée du nombre de jours qui se sont écoulés. Je ne les ai pas véritablement comptés, mais il me semble que j'ai aperçu approximativement cinq cent cinquante fois le soleil se lever. Soit environ un an et demi que je m'isole en enfer comme un rat au fond de son trou. Je me retranche à l'écart de tout. Je me tiens à distance des hommes. Loin d'elle. Surtout loin d'elle.

Salomée. Celle qui m'a réappris à respirer et m'a rappelé que j'ai, moi aussi un cœur, en me faisant percevoir ses battements frénétiques. Pour me le mettre en miettes quelques semaines après...

Pour elle, j'aurai retourné ciel et Terre. Je lui aurais offert mon trône. Elle serait devenue ma reine. La souveraine de mon monde. Gardienne de mon âme, je lui aurais donné l'éternité.

Rien de tout ça n'arrivera jamais. Mais je ne lui en veux pas. Quelle femme pourra m'aimer un jour ? Aucune, je crois. C'est impossible puisque je ne m'apprécie pas moi-même.

Et puis elle n'est pas responsable de mon mal-être. L'univers tout entier est contre moi.

D'abord parce que mon père, celui que l'on appelait Dieu, m'a banni et que je me retrouve en enfer, avec le rôle de tortionnaire. Ce qui fait de moi un monstre. Difficile d'attirer la sympathie dans ces conditions. Encore moins l'amour. La seule consolation que j'aie, c'est qu'aujourd'hui, mon géniteur est en train de pourrir dans la prison que j'ai spécialement conçue pour lui.

Et puis ensuite, parce que celle pour qui je crève d'admiration ne m'est pas destinée. La magie de ma mère l'a liée irrémédiablement à un autre que moi. Et quel autre ! Cela pourrait être un parfait inconnu. Mais non ! Il a fallu qu'elle soit subjuguée par mon frère. Celui que j'aime plus que ma propre vie. Celui qui a veillé sur moi lorsque nous étions petits. Et comme si ça ne suffisait pas de devoir faire le deuil de ma relation avec Salomée, je perds aussi Raphaël. Il a également été chassé. Mais contrairement à moi, ses ailes lui ont été arrachées. Il a changé de condition. À présent, il est humain. Je ne peux pas me rapprocher de lui. Mon père a pris grand soin de tous les nombreux détails concernant mon exil. Je ne sais pas comment il a procédé. Mais depuis mon bannissement, je suis coupé de tous ceux qui me sont chers. Enfermé dans ma solitude. Sans possibilité d'entrer en contact avec ma famille. Ne parlons pas d'amis... Quels amis ? Évidemment, le diable n'en a pas !

Ce n'est pas étonnant que la bête se soit emparée du contrôle. Mon esprit est toujours là, quelque part, mais il est mis en veille. Je peux encore réfléchir, penser. Mais le monstre en moi a pris l'ascendant sur mon enveloppe corporelle. Je le laisse agir à sa guise. Ce qu'il peut faire m'importe peu. J'ai déjà commis des horreurs terribles. Que peut-il arriver de pire ?

Mes sujets sont ravis. Ils ont enfin retrouvé leur souverain. Le vrai. Pas celui qui cède à l'attendrissement. Pas l'amoureux. Pas le faible. Mais leur véritable roi. Le fort. Celui qui est intraitable. Le psychopathe. Je les laisse faire tout ce qu'ils veulent. Après tout, ils sont des démons. Pourquoi les priverais-je de la satisfaction de faire le mal ? Je les ai autorisés à retourner sur Terre et à saccager tout ce qui leur fera plaisir. Mettre à feu et à sang la merveilleuse création de mon fabuleux papa.

Je ne connais pas qui a pris sa suite et je m'en contrefous. Qu'est-ce que ça m'apporterait de le savoir ? Tout ça, je n'en ai plus rien à cirer. Je m'occupe seulement des enfers et ça me va très bien.

Je noie mon chagrin en faisant ce pour quoi j'ai été expédié ici : je torture les âmes corrompues. Et petit plus, parce que je suis un très vilain garçon et que le monstre qui a pris mon contrôle est un véritable animal qui se laisse diriger par ses pulsions, je passe mon temps libre à forniquer. Au début, je ne voyais pas de différence. Peu importait avec quel démon je m'envoyais en l'air. Tant qu'elles me faisaient penser à autre chose que la femme qui envahit mon esprit, ça m'allait très bien. Mais très vite, je me suis aperçu qu'elles ne me suffisaient pas. Je suis devenu invivable. Encore plus que d'habitude. Elles avaient à peine fini leur besogne que je les chassais sans égard de mon lit. Lorsque je ne les prenais pas le long d'un mur, sans considération. Les laissant partir au bout de dix minutes. Frustré de ne pas éprouver de contentement.

Et puis un jour, Naama, mère de tous les monstres, celle qui me seconde depuis mon arrivée dans ce trou maudit est venue me voir. Ses intentions ne faisaient pas de doute. Puisqu'aucune autre ne parvenait à satisfaire mes envies, elle allait se charger de me rendre heureux. Sexuellement en tout cas. Ce dont j'avais besoin, ce n'était pas seulement de bestialité. Parce qu'avec les démons, j'étais servi. Je désirais ressentir de la jouissance, certes. Mais surtout, je voulais éprouver du plaisir tout en souffrant. C'était devenu vital. Il fallait que j'aie mal.

Mon père a fait de moi un détraqué. Par sa faute, il n'y a que la douleur qui atténue mes blessures les plus profondes. Seules de nouvelles cicatrices peuvent effacer les plus anciennes. Et elle l'a bien compris. Elle est du même moule que moi. Nous avons des fêlures similaires. Plongés dans la dépravation tous les deux.

C'est comme ça que nous nous sommes rapprochés. Il n'est pas question de sentiments. Je n'ai rien promis à Naama. Et elle n'attend rien. Je ne souhaite plus tomber amoureux. On ne m'y reprendra plus. Jamais. Mais nous partageons toutes nos nuits. Et avec elle, j'obtiens enfin ce que je veux. De la jouissance mêlée de sueur, de cris, et de douleur. Parce qu'à ma demande, ma maîtresse laisse libre cours à sa folie. Son rôle est de punir les âmes damnées. La mienne est la pire de toutes. Alors dès que nous passons un moment ensemble, elle me fait subir des sévices innommables pour me torturer. S'arrangeant pour me laisser juste suffisamment de forces pour que je sois capable de satisfaire ses besoins. Ma condition de créature immortelle me permet de me rétablir rapidement. Nos petits jeux sont sans fin, et ça me convient très bien.

Même si Salomée subsiste dans mes pensées, en arrière-plan, je crois avoir trouvé un équilibre. Mon humanité profondément enfouie au fond d'une bête qui m'empêche de m'appesantir sur ma tristesse. Une partenaire qui prend plaisir à ne me laisser aucun répit.

Je ne dirais pas que la vie est belle. Loin de là. Mais c'est devenu mon quotidien. Et tant que rien ne viendra le perturber, les choses resteront ainsi.

La conteuse de légende

Samaël continuera-t-il à se détruire encore longtemps ? Reprendra-t-il le contrôle de sa vie ? Doit-on s'attendre à ce que sa routine reste aussi monotone ?

Le destin à d'autres projets pour lui... Laisse-moi te conter son histoire.

Lumière et ténèbres - tome 2 - Emma (premier jet)Onde histórias criam vida. Descubra agora