23. Château

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Trois jours après,
8 juin, 15h48
Institut Gustave Roussy, Villejuif

- Luca, tu me passes le rouge, s'il te plaît ?

Bill s'exprimait en anglais pour être compris par tout le monde. Son frère mit quelques secondes à réagir et dut recevoir un coup de pied avant de tendre un tube de peinture.

- Ah, ça c'est jaune, fit remarquer Didier.

Lui et Bill rirent. Tom souffla, exaspéré.

- Tu me déconcentres ! J'étais en plein élan artistique.
- C'est le prochain Léonard de Vinci, lança gaiement Christine.

Raymond la regardait en souriant, assis en face. Bill se pencha en avant, jeta un coup d'œil à la toile que peignait fièrement son frère et grimaça.

Le groupe en était à sa deuxième toile sur trois. Ils avaient installé tout le matériel sur la grande table du Foyer, lieu où ils se retrouvaient pour les activités. Bill et Tom se faisaient face, à droite de Bill était assis Didier face à Jacques, et à gauche de Bill, Raymond face à Christine. Jade était en bout de table et animait l'atelier.

- On devrait mettre de la musique, fit remarquer Raymond. C'est trop calme ici.

Il guetta la réaction de l'ex professeure de musique, qui fut sans surprise enjouée par l'idée. Elle se leva et s'approcha d'un meuble sur lequel était posé une radio. Elle lança une station au hasard, et Bill tenta de reconnaître quelques mots des phrases que l'homme prononçait à toute vitesse. Il reconnut "homme" et "cancer". Bill déglutit. Il avait la bouche sèche.

- Passe-moi le rouge, s'il te plaît, gamin, marmonna Jacques en français.
- Jacques demande gentiment si tu pourrais lui donner la peinture rouge, traduisit Didier.

Mais Bill ne l'écoutait pas. Il s'était tourné vers la radio, posée sur le meuble derrière lui. C'était sa voix. Durch den Monsun passait à l'hôpital.

Anxieux, il croisa le regard de Tom. Ce dernier était beaucoup plus tranquille que son frère. Il savait qu'on ne remarquerait pas la musique, car la voix de Bill avait changé.

- Oh, c'est marrant, c'est en allemand. Leon, ce serait pas toi qui chantes à la radio, par hasard ?, demanda Didier. Puisque tu es dans un groupe de musique allemand...
- Hum, oui. Oui, c'est moi. Et mon groupe.

La table fut silencieuse. Bill croisa le regard de Jade mais baissa directement les yeux. Il préférait ne pas savoir si elle l'avait reconnu. Tom s'apprêtait à parler lorsque Didier se pencha vers lui, un doigt sur la bouche pour lui signifier de garder le silence. Ils voulaient tous écouter la musique.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?, bougonna Jacques.
- Chut, on écoute la musique de Bill.

Bill apprécia ce geste, même si sa maladie lui avait fait perdre toute confiance en lui. Le château de cartes qu'il avait mis des années à bâtir s'était effondré. Aujourd'hui, il ne ressemblait plus du tout à Bill Kaulitz, et se sentait étranger à sa propre musique. Le cœur lourd, il baissa les yeux sur sa peinture.

Dès que la musique fut terminée, les amis de Bill applaudirent tous et le couvrirent de compliments. Pour la première fois, Bill vit Jacques sourire sincèrement, même si ce n'était pas un grand sourire. L'ex chanteur se sentit gêné par cette attention soudaine, mais aussi heureux de recevoir cette positivité. Au fond de lui, il venait de commencer à reconstruire son château. Mais cette fois, au lieu d'utiliser des cartes, il allait utiliser des pierres.

Le groupe passa à sa dernière toile et chacun entama une conversation avec une autre personne. Bill regarda Christine et Tom.

- Avez-vous suivi mes conseils par rapport à votre petite-amie ?, demanda-elle en anglais.

SILENCE (Bill Kaulitz)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant