9 : L'auberge de Sabinka et Bonaventure

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Peinant à y croire, je franchis les derniers mètres qui me séparaient de la porte. Sur le perron, je pris Cassandre sous mon bras et la main de Sofia dans la mienne. Je passai ensuite l'encadrement en bois. J'entrai alors dans une pièce chaleureuse. Il n'y avait pas grand-monde, mais nos mines hagardes et nos habits crottés ne semblaient pas détonner. En effet, les quelques personnes présentes nous ressemblaient, du sac à dos rempli jusqu'à l'air méfiant, en passant par les pantalons écorchés.

Me souvenant du conseil de Sirine, je m'avançai jusqu'au comptoir, où trônait un homme petit et râblé, avec des cheveux bruns. Il m'accueillit avec quelques mots :

-              Bienvenue. Je suis Bonaventure, le tenancier. Je peux t'aider en quelque chose ?

-              Je voudrais parler à Sabinka, s'il-vous-plaît.

-              Qu'est-ce que tu as à dire à ma femme ? Je plaisante, ce ne sont pas mes affaires.

Il se tourna vers l'arrière et hurla :

-              Sabinka ! Du monde pour toi !

-              J'arrive, j'arrive.

Une femme qui avait à peu près le même gabarit que lui émergea de la pièce derrière le comptoir. Elle s'enquit doucement :

-              Que puis-je pour vous ? Excusez mon mari, c'est un rustre sans manières.

-              Je viens de la part de Sirine.

-              D'accord, je vois. Suis-moi.

Elle se dirigea vers la boîte qui contenait les clés des chambres et prit un objet de forme étrange. Elle monta ensuite plusieurs escaliers. Je la suivais avec ma fine équipe et je fus bientôt devant une petite porte, à l'étage des combles. Sabinka m'adressa un petit sourire contrit :

-              Je suis désolée, je n'ai plus de lits. On est complets. Enfin presque. Il y a un matelas pour deux et des couvertures derrière ce battant. La serrure est un peu particulière. Ouvre la porte, et la mansarde est à toi pour cette nuit et la suivante. Tu pourras même garder l'épingle à cheveux, si tu veux.

-              Marché conclu.

-              Parfait, je te laisse.

Elle repartit, et je me retrouvai seule devant l'obstacle. Ainsi, cet objet étrange était une épingle à cheveux. Je n'en avais pas vu depuis des lustres, et je ne m'étais jamais intéressée à la coiffure. J'avais oublié leur existence, mais je me rappelai alors que ma mère en utilisait parfois pour parfaire en chignon. La nostalgie de ma famille et de ma vie d'avant me prit soudain. Je la refoulai aussitôt, ainsi que les larmes qui étaient montées. Je me devais d'être forte. J'y étais presque. Presque en sécurité, vers Anakoni.

L'épreuve imposée par Sabinka ne m'effrayait pas outre mesure. J'avais passé mon enfance à crocheter les serrures pour m'amuser. Cela rendait mes parents complétement fous, mais je ne m'arrêtais pas pour autant. Nous libérer l'accès à la mansarde fut donc l'affaire de quelques secondes. Très vite, le battant céda et j'entrai avec Sofia et Cassandre. La tenancière m'avait indiqué les toilettes et les douches, qui étaient un peu plus loin au même étage. Cela faisait bientôt deux semaines que je n'avais pas eu accès à une vraie salle de bain. L'une des premières choses que fis fut d'aller me laver et de changer de vêtements. Sofia fit de même, puisque grâce à Sirine j'avais désormais des habits de rechange pour elle.

De retour dans la chambre, je verrouillai la porte à l'aide de l'épingle à cheveux. J'examinai la pièce qui allait nous offrir un repos salutaire pendant deux nuits. C'était une mansarde, petite mais propre. Les murs étaient en pierre et une fenêtre percée dans le plafond nous donnait un peu de lumière. Il y avait un matelas qui était confortable, selon les dires de Sofia. Il ne semblait pas infesté de puces, tout comme les couvertures. Je voulus aérer et ouvris l'accès au toit. Pour un humain, ce n'était pas possible de sortir, mais visiblement c'était un jeu d'enfant pour Cassandre. Elle fila dès qu'elle vit l'ouverture et disparut. Je ne me faisais pas de souci. Ces derniers jours, elle avait montré des signes d'attachement qui me laissaient penser qu'elle reviendrait bientôt. En attendant, je continuai mon inspection. Il y avait peu de place, on ne pouvait pas dire que c'était du luxe. Mais je ne me plaignais pas, j'étais déjà heureuse de pouvoir me reposer dans une sécurité relative. De plus, je trouvai un endroit pour accrocher mes armes hors de portée de Sofia. Je ne voulais pas qu'elle se blesse en jouant avec quand j'aurais le dos tourné.

À la nuit tombée, lorsque j'allais fermer la fenêtre, Cassandre revint. Je pus alors clore entièrement l'orifice en toute quiétude, sans m'inquiéter de ce qu'il adviendrait si elle revenait pendant mon sommeil. Je partageai avec Sofia un repas plutôt frugal, mais nécessaire pour avoir suffisamment de provisions pour la suite de la route. Je décidai durant la soirée que nous repartirions le lendemain matin. L'avance que nous avions prise aux soldats en nous cachant dans cette auberge était précieuse. Ils ne tarderaient pas à retrouver notre trace, mais si nous parvenions à la douane du pays que nous voulions rejoindre, ils ne pourraient pas nous attraper. Je mis la petite fille au lit et m'allongeai à côté d'elle. Je ne tardai pas à m'endormir, épuisée que j'étais par toute nos péripéties. Je ne rêvai pas cette nuit-là, enfin il me semble.

Le lendemain, je me réveillai quand le soleil se leva. L'absence de rideaux à la fenêtre et mon extrême sensibilité à la lumière naturelle s'étaient alliées pour me tirer du lit. Mais en vérité, cela m'arrangeait. J'eus ainsi à ma disposition plusieurs heures pour préparer le départ avant que Sofia, qui était une vraie marmotte, ne se réveille. Je commençai par sortir de quoi prendre un petit-déjeuner et rangeai le reste de nos affaires dans le sac. J'y accrochai la lamelle de Cassandre, même si elle suivait bien (on n'est jamais trop prudents). J'aiguisai mes armes, fixai l'étui de mon couteau de jet à mon avant-bras et vérifiai que je pouvais lancer la lame sans problèmes. Je comptai mes flèches et retendis la corde de mon arc. Je mis mon carquois sur mon épaule. Ensuite, je plaçai mon poignard dans son fourreau et l'accrochai à ma taille. Je coiffai ma chevelure de manière à pouvoir y coincer l'épingle à cheveux. On ne pouvait jamais savoir ce qui allait servir.

Ce fut à ce moment-là que Sofia se réveilla. Je l'habillai, la coiffai et la débarbouillai. Puis je m'installai avec elle sur le lit pour prendre un petit-déjeuner. Je donnai en même temps à boire et à manger à Cassandre. Notre repas se composait de cinq biscottes chacune, accompagnées d'un fruit et d'un peu de fromage. Comme boisson, nous avions du jus d'orange, offert par Sirine. Sans elle, jamais nous n'aurions pu en boire.

Une fois ce festin englouti, il fut l'heure de se préparer au départ. Je fis les nœuds des chaussures de Sofia, puis enfilai les miennes. Je lui mis son blouson, volé dans la cargaison du Lola et sa casquette, qui était celle que j'avais prise avec moi pour si je perdais la mienne. Je m'équipai pareillement, mais mon habillement comportait une étape de plus. Je vérifiai trois fois toutes mes armes, soigneusement. Je ne pouvais pas me permettre d'avoir un problème avec mon moyen de défense si nous croisions des soldats. Je sortis l'épingle de ma coiffure. Il était temps d'y aller. Cassandre, ayant parfaitement compris, s'avança devant moi. Je déverrouillai la porte et poussai le battant. La voix qui retentit alors me cloua sur place :

-              Tiens, tiens. Comme on se retrouve.

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Bon. Miya, Sofia et Cassandre ont de la visite, on dirait. Selon vous, qui est-ce ? Faites moi part de vos théories...

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