Chapitre 19 Zoé

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Les fêtes de Noël approchent, j’ai vu cette ville se transformer, passer d’une ville normale à une ville féerique. J’aime me balader parmi les décorations et, même si on n’est pas à New York, ils ont mis le paquet. Les lumières qui arborent les rues et les magasins donnent envie de rester devant pendant des heures. Avant, j’aimais cette période de l’année, mais je sais que ça ne sera plus jamais pareil maintenant. Ma famille est détruite, l’homme que je voulais dans ma vie se marie avec une autre… À partir du premier janvier, rien ne sera plus jamais pareil.
Je cherche encore à m’expatrier, mais je n’ai pas trouvé la ville parfaite. Pourtant, je n’arrête pas de chercher. Pour ma nouvelle vie, je veux quelque chose de parfait, surtout que je ne serais pas seule. J’ai beaucoup réfléchi à ça aussi, sur la meilleure décision à prendre, pour nous tous. Je vais le garder…
Je prends ça comme un cadeau de Noël en avance.
Wayatt ne le saura jamais, il pourra vivre la vie qu’il a choisi sans culpabiliser et, moi, je pourrai élever seule cet enfant. J’ai de l’argent et beaucoup d’amour à lui donner. Je me rends compte que c’est parfaitement égoïste, mais je m’en fiche, il y a bon nombre de mères célibataires dans le monde et elles arrivent très bien à s’en sortir. Alors pourquoi pas moi ?
Je passe devant une boutique de vêtements d’enfants, je regarde à travers la vitrine et j’ai déjà hâte de le tenir dans mes bras. Les enfants, je n’en voulais pas tout de suite, je voulais d’abord penser à ma société et à tout le reste, mais, maintenant que je suis devant le fait accompli, je n’en ai plus rien à faire de tout ça. Ce bébé, je l’aime déjà et il sera toujours ma priorité à partir de maintenant.
Cela fait dix jours que je suis ici et ça me fait un bien fou de faire une pause. J’ai éteint mon portable pour ne plus être harcelée par ma famille, ou qui que ce soit d’autre. Je me sens enfin reposée. Je m’installe à une terrasse et commande un chocolat chaud. L’hiver est là, les températures ont bien baissé, mais ça reste encore raisonnable. Une fois qu’on m’apporte ma boisson, je me mets à repenser à ma vie d’avant, celle que je pensais durer jusqu’à la fin de mes jours.
J’avais vingt ans quand j’ai rencontré Cole pour la première fois.
Il a commencé en tant que sous-fifre dans l’entreprise de mon père et, moi, je venais apporter des documents qu’il m’avait demandés. J’ai croisé Cole dans les couloirs, au début, et je le trouvais mignon, sans plus. J’étais passée à côté de lui et avais senti son regard peser sur moi. Je ne m’étais pas attardée plus, les hommes n’étaient pas ma priorité. J’avais d’autres projets, je ne savais pas bien lesquels, mais la fac était ce qui me motivait le plus. On m’avait toujours dit que plus j’étudierais et mieux j’aurais le choix de ma carrière plus tard. Mon père voulait que je travaille à ses côtés. Je pense que c’était aussi ce que je voulais. J’étais surtout fière des regards d’admiration qu’il me portait chaque fois que je comprenais vite ce qu’il m’expliquait. Je n’ai réalisé que plus tard que je n’aspirais pas à travailler dans une société dans laquelle je ne pourrais pas m’épanouir, que je serais coincée à faire des investissements risqués jusqu’à la fin de mes jours, et tout ça pour rien. L’informatique ne m’intéressait pas et, même si j’avais pris des cours à l’université, leur complexité ne m’attirait pas. Moi, je passais surtout mon temps à faire des albums dans lesquels je créais des mariages imaginaires. Cette obsession avait commencé quand j’étais petite, chacune de mes poupées portait une robe de mariage ou de demoiselle d’honneur, je ne jouais qu’à les marier à longueur de temps, et puis je faisais pareil avec mes copines, je leur faisais de faux voiles et leur préparais de faux banquets avec du sable et de la dînette. Je ne me suis jamais imaginée en mariée en revanche. Les autres oui, mais pas moi, je voulais être celle qui les organisait, c’était ça mon rêve. Quand j’ai parlé de ce changement d’orientation à mes parents, ils n’étaient pas contents, mon père surtout, mais ils ont vite changé d’avis et m’ont ensuite soutenue. Aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi ils avaient décidé que je me marierais avec Cole et que ce serait lui qui succéderait à mon père. Je n’ai rien vu réellement venir, jusqu’à maintenant. À y réfléchir, toute la bonté que j’ai créditée à mon père était fausse, il était clair pour lui que ce n’était qu’un caprice et, que le jour où je me marierais avec son poulain, je deviendrais une femme au foyer, une épouse modèle, comme ma mère.
Je repense aussi à toutes ces réceptions où j’allais avec eux et auxquelles Cole était présent aussi. Était-ce un piège en fin de compte ? Mon père m’a-t-il poussé dans ses bras pour servir leurs intérêts ? Je ne sais pas si j’aurais la réponse un jour, mais, maintenant, tout me fait douter et je ne suis plus sûre de rien. Mon père le glorifie toujours et, bien que je n’étais pas spécialement amoureuse au début, je me suis laissé séduire avec le temps par cet homme qui me faisait la cour comme on ne me l’avait jamais faite avant.
La première fois qu’il m’a embrassée, c’était à un rendez-vous qu’il m’avait donné dans un restaurant. Nous étions dans une pièce à part, en VIP, il s’est levé à la fin du repas, j’en ai fait de même, je pensais qu’on allait partir, et puis il s’est approché et a posé ses lèvres sur les miennes. J’avais déjà embrassé un garçon, donc je savais la marche à suivre, mais, quand j’ai senti cette chose dure contre moi, j’ai paniqué. J’en rigole à présent, car j’aurais dû rester sur ma première impression, reculer et partir en courant. Il m’a poursuivie jusque chez moi pour s’excuser et, comme je me trouvais idiote d’avoir réagi comme ça, je l’ai autorisé à recommencer. Mais ça ne s’est pas arrêté là, ce soir-là, il a fini par me déshabiller, me mener dans ma chambre et, sans préliminaires, il m’a pénétrée. J’ai hurlé cette première fois, je ne pensais pas que ça faisait si mal et, lui, il était étonné que je sois vierge. Je n’ai eu aucun plaisir et, ce, pendant de longues années. En général, je me stimulais seule pour arriver à ressentir quelque chose, le sexe avec lui étant très centré sur son propre plaisir. Ça aussi, je ne m’en rends compte que maintenant. J’ai vraiment été trop bête, décidément ! Et pendant tout ce temps où je me donnais corps et âme pour lui, il couchait avec ma meilleure amie… Quand je pense à elle qui écoutait chaque plainte que je racontais sur lui, alors qu’elle faisait du rodéo sur son sexe derrière mon dos, j’ai envie de vomir. Comment j’ai pu en arriver là et, surtout, ne rien voir ? Il avait des réunions sans fin et, quand je l’appelais, elle, pour lui proposer de passer la soirée avec moi, pour éviter d’être seule, elle avait toujours quelque chose à faire. Maintenant, je sais ce qu’était cette chose… me trahir !
On se connaissait depuis si longtemps pourtant. Déjà, à la maternelle, nous étions comme des sœurs, nous faisions les pires bêtises ensemble. Plus tard, je l’avais consolée quand ses petits amis l’avaient quittée, les uns derrière les autres, après avoir profité de son corps. Je lui avais prêté de l’argent et même hébergé quand ses parents l’avaient reniée, le jour où elle avait été prise par la police pour possession de drogue. J’ai tout fait pour elle et, aujourd’hui, j’en suis là, seule avec moi-même, trahie par tous les miens, enceinte d’un homme qui va en épouser une autre…
Je suis au fond du trou et, pourtant, je vais devoir sourire et faire ce que j’aime le plus : préparer un mariage. Je paye mon chocolat et pars faire une balade. Je pourrais peut-être venir vivre ici en fin de compte. Quand je passe devant une école, je suis attendrie, mais je n’ai pas réellement envie de décider tout de suite, pas tant que tout ça n’est pas fini. Choisir maintenant voudrait dire que mes rêves d’être avec Wayatt sont faux et je préfère attendre, voir la vérité en face, quand Marsila s’avancera jusqu’à l’hôtel et qu’ils se diront oui pour la vie. À ce moment-là, je saurais qu’il faut revenir à la surface de mes rêveries.
Je finis par retourner à l’hôtel, épuisée par ma balade. J’ai la mauvaise surprise de trouver Cole devant ma porte. Comment m’a-t-il trouvée, et, surtout, qu’est-ce qu’il fait ici ?
— Il faut qu’on parle, Zoé.
— Je crois qu’on s’est tout dit la dernière fois. Ta copine n’est pas avec toi ?
Je vois bien que non, mais c’est pour lui faire comprendre que je ne sais pas ce qu’il fait là, alors qu’il a quelqu’un d’autre dans sa vie.
— Non, je pense qu’il faut qu’on parle tous les deux.
— Je n’en vois pas l’intérêt. Comment m’as-tu retrouvée ?
— On te suit depuis le début, tu as une puce sur ton téléphone, on peut te localiser.
— Quoi ?
Je ne devrais même pas être choquée. Ce n’est qu’une chose de plus qu’ils font, tous ligués contre moi.
— Tu ne penses tout de même pas que je n’allais pas te surveiller ?
— Non, c’est vrai, il fallait bien être sûr que, moi, je ne profitais pas de la vie comme toi, tu as pu le faire. Maintenant, je n’ai pas envie de parler, je veux juste que tu partes.
— Pas tant que nous n’aurons pas eu cette conversation.
Je regarde autour de moi et je vois que les gens commencent à s’arrêter autour de nous et à nous écouter. Je souffle et lui dis de me suivre, qu’on en finisse enfin. Comme ça, je pourrai retrouver ma petite vie solitaire.
Une fois à l’intérieur, je ne m’assois même pas, je croise juste les bras et attends qu’il parle.
— Écoute, notre relation n’aurait pas dû finir comme ça.
— Et c’est la faute à qui ? Tu m’as trompée des années !
— Oui, mais comme je te l’ai déjà expliqué, je ne suis qu’un homme et il faut dire que Petra a mis le paquet.
— Tu l’aimes au moins ?
— Pas du tout. Ce que j’aime, c’est son corps de déesse quand elle me chevauche, mais c’est tout.
— Et elle le sait ?
Il est vraiment répugnant ! Petra m’a dit qu’elle l’aimait et était sûre qu’il ne se servait pas d’elle. Est-ce que j’ai pitié pour elle ? Non. C’est bien fait. Le karma, comme je lui ai dit, se retourne toujours. J’ai hâte qu’il punisse Cole maintenant.
— Je ne sais pas et je m’en fiche. Ce que je veux, c’est que tu reviennes.
— J’espère que tu blagues ? Je t’ai déjà dit que ça n’arrivera pas.
— Tu es bien allée avec un autre et moi, je suis prêt à te reprendre.
Il recommence avec ça, il va retourner la situation comme si c’était ma faute, comme si j’étais une fautive.
— Nous étions séparés, ce n’est pas la même chose.
Une idée me traverse l’esprit d’un seul coup.
— C’est toi qui leur as dit où j’étais, à ces journalistes ? Tu leur as donné l’adresse pour qu’ils me surveillent à ta place ?
Il ne répond pas, mais baisse la tête, je considère ça comme un aveu.
— Mais tu es dingue ! Pourquoi as-tu fait ça ?
— Je ne pensais pas qu’ils te trouveraient en train de te rouler dans le foin avec le futur marié.
Il se lève et me regarde avec colère. Je rêve ou quoi ?
— En quoi ça te regarde ? Nous ne sommes plus ensemble !
— Nous devons nous marier et expliquer à la presse nos erreurs.
— Mais tu es sourd ? Je ne vais pas me marier avec toi !
— Nous n’avons pas le choix.
— On a toujours le choix dans la vie, c’est ce qui s’appelle la liberté. Si tu as des problèmes d’argent, au lieu de me forcer à t’épouser, demande à mon père, vous avez l’air de bien vous entendre.
Il tourne la tête sur le côté et serre les dents.
— Tu es prête à sacrifier ta famille et tout ce que tu as construit pour éviter le mariage avec moi ?
— Comment ça, tout ce que j’ai construit ?
— Ton truc de mariage, là, ton passe-temps débile. Je m’en occuperai personnellement et tu n’auras plus rien !
— J’aurai toujours mon argent.
Et bim, ça ne sert à rien de me prendre au chantage, j’ai plus de cartes que lui.
— En es-tu sûre ?
Il me scrute avec un regard sadique.
— Quoi ?
— Vérifie tes comptes.
Je prends mon téléphone, me connecte à ma banque et… mon solde est vide. Quoi ? Quoi ? Je regarde sur tous les comptes et il n’y a plus rien !
— Où est-il ? Vous en avez fait quoi ?
— C’est ton père. Moi, je n’y suis pour rien. Si tu veux récupérer ton fric, tu dois te marier avec moi et étouffer le scandale.
— C’est une plaisanterie ?
Mes parents viennent de me voler la plus grosse partie de mon argent, et tous mes rêves d’élever mon enfant sans souci pécuniaire viennent de s’écrouler. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que j’en ai déplacé une partie il y a bien longtemps, car je ne voulais pas mettre toutes mes billes au même endroit. C’est vrai que, vu que je n’y touche pas, je n’en ai jamais parlé.
— Ton père veut que tu rentres à New York, il veut avoir une conversation avec toi.
— Il ne pouvait pas le faire sans me voler tout mon argent ?
— Tu ne veux rien écouter et tu continues à faire ta princesse capricieuse, alors il n’avait pas le choix.
— Capricieuse ? Ne pas vouloir me marier avec un homme infidèle, c’est un caprice ?
— Si je ne m’étais pas fait attraper, tu ne l’aurais jamais su.
— C’est donc une raison ? Tu ne te rends même pas compte que c’est mal ? Et que, malgré tout, je devrais me marier quand même avec toi ?
— La femme la plus importante dans la vie d’un homme, c’est sa propre femme, les autres sont juste là pour enlever la pression de temps en temps. Ça, je te l’ai déjà dit.
— Que tu peux être répugnant !
— Dit la femme qui m’a trompé ! En revanche, il en est hors de question quand nous serons mariés.
— Je ne vais pas me marier avec toi. Avec ou sans argent, je m’en fiche.
Il va prendre son téléphone et fronce les sourcils.
— Ta mère a essayé de m’appeler plusieurs fois. Allô ?
— Vraiment ?
Je n’entends rien de ce que ma mère dit, mais, vu la tête de Cole, ça doit être important.
— D’accord, on arrive. Oui, oui, je la ramène à New York.
Quand il raccroche enfin et qu’il me regarde, je parle la première pour être sûre qu’il comprenne bien qu’il ne fera pas ce qu’il veut de moi.
— Je ne vais pas à New York avec toi, oublie cette idée.
— C’est ton père, il a eu un malaise, il est à l’hôpital. Apparemment, c’est grave.
— Quoi ?
— Prépare tes affaires, on rentre à la maison.
— Je… Je…
Je ne sais plus quoi dire, mais il a raison, il faut que je voie mon père. S’il lui arrive quelque chose de grave et qu’il meurt, je m’en voudrai toute ma vie de ne pas être allée le voir. Pendant que je fais mon sac, Cole réserve des billets d’avion.
Quand nous partons et que je referme la porte, j’ai un pincement au cœur, je n’ai pas envie de partir, je ne veux pas retourner dans cette vie, même avec l’urgence qui m’attend… Pourtant, je le dois, je finis par souffler, par fermer cette porte sur cette parenthèse que je me suis octroyée.
Enfin, pour le moment, car j’espère revenir…

Le Ranch Mac Bryant Où les histoires vivent. Découvrez maintenant