Chapitre 24 : Un bonus d'une vie

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Une odeur fleurie chatouilla mes narines. Des couleurs apaisantes, seulement quelques-unes, mais réconfortantes, dressèrent un tableau paisible. Un espace hors du temps, influencé par nos états d'âme, nos émotions, notre vision du monde et de soi, qui se modelait à notre image.

Le Chemin était un concentré des consciences du monde végétal et animal, dont nous faisions partie. Les mages n'étaient que des humains capables d'agir sur les éléments et relier les deux mondes. La magie de l'âme était particulière, puisqu'elle agissait sur soi et les êtres plus que les végétaux. Cependant, son fonctionnement restait fondamentalement identique, à l'instar de son origine.

Chaque mage, peu importe son passé, ses désirs, sa maîtrise, rejoignait le Chemin à sa mort. Quelques rares élus, nommés gardiens, servaient de passerelle. Cela permettait de s'accorder au Chemin pour fournir un équilibre magique, demander conseil et soutien à nos prédécesseurs.

La balance avait pourtant été chamboulée par les agissements de deux mages de l'âme : Kida et Lyra. La première souhaitant vaincre la mort elle-même, la seconde ayant la capacité d'en trouver la voie. De là était né un Chemin tout autre : d'un équilibre dynamique parfait, il avait évolué pour se soumettre aux conditions changeantes de quelques élus.

Comme usuellement, il finissait par reprendre ce qu'il avait mis au monde. Il avait donné, à Kida, sa compagne et moi, une certaine immortalité. En toute finalité, forts de ces pouvoirs, nous nous étions mutuellement tués. Que ce soit l'une d'entre nous qui termine l'autre, ou bien que l'on meure dans le processus.

Je songeais un instant à Lyra – la Cassiopée originelle – et le courage dont elle avait fait preuve. Une humaine sans potentiel magique au départ, avait réussi à mettre un terme définitif à ce conflit. Désormais, j'espérais de tout cœur qu'elle puisse se détacher de ce passé et vivre sa vie à fond comme elle l'entendait. Plongée dans mes pensées, je ne perçus pas immédiatement la silhouette du vieil homme en face de moi.

– Un champ de fleurs pour dessiner le Chemin ? Ce n'est pas très original, remarqua-t-il en observant les alentours.

– Quelle est votre vision, alors ? le défiai-je.

L'ancien gardien de l'âme sourit, roublard. Se dressa devant moi un monde aux allures fantastiques, dont le ciel pourpre se reflétait dans l'eau en contrebas comme un miroir géant du monde. Chaque objet trouvait son jumeau, alors même que le décor ne cessait de changer à chaque pas.

– Vous avez une sacrée imagination, constatai-je.

– Surtout un esprit qui part dans tous les sens, relativisa-t-il. Vous verrez, votre Chemin s'étoffera avec les rencontres.

– Comme avec moi ? devinai-je.

Le mage acquiesça.

– C'est un choix courageux que vous avez fait, de renoncer non seulement à votre magie, mais aussi à votre vie.

Je contemplais son monde, aujourd'hui teint de bleu et de violet.

– J'en ai déjà vécu des centaines, une de plus ou une de moins ne compte pas vraiment, tentai-je de me persuader.

– Si vous deviez choisir parmi chacune d'entre elles, laquelle valait le coup d'être vécue ?

Ma gorge se noua.

– Cette dernière. J'aurais aimé la poursuivre jusqu'au bout. J'ai commencé à pleinement vivre à l'instant où j'ai dû y renoncer.

Le mage sourit avec mélancolie.

– Comme beaucoup, on meurt avec nombre de regrets. On se rend compte de la valeur de la vie quand elle nous est retirée. Cependant, vous pouvez aussi considérer l'héritage que vous avez laissé. Est-il vain ?

Double JeWhere stories live. Discover now