Le jour de mon enfance

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Bonjour Emma,

J'espère que tu te portes au mieux. Veille à me pardonner pour cette lettre déconstruite, mais les seuls documents que j'écrivais depuis adolescent étaient les rapports que j'envoyais à ton mari.

Tout va pour le mieux dans ce havre. On est heureux avec Hanna, car on vit un quotidien qui nous convient. Elle m'aide à construire une vie paisible, entre le fait de respecter un rythme de sommeil correct, de manger à ma faim et surtout de progresser dans ma rééducation.

Depuis lundi matin, j'ai accepté de me tourner vers la canne. Ce moyen de déplacement est encore humiliant pour moi, mais je peux enfin entrapercevoir le bout du chemin grâce à ce retour à l'autonomie et à l'indépendance.

Je pars en balade avec le chien, je monte à cheval seul (même si me hisser et descendre me prend encore du temps par rapport à mon passé de cavalier), et je glisse à la hauteur de Marius. Je suis content qu'il rampe sur les genoux, bien que cette situation inquiète ta sœur. Je vois cette peur de le voir trop vite grandir dans ses yeux.

Ces nouvelles étaient les bonnes. Plongeons-nous à présent dans les ombres au tableau : elles sont au nombre de 3 :

Les fantômes d'Erwin et de Hansi qui viennent me hanter

Ma traversée du désert dans les progrès

Ma culpabilité


Numéro 1 : J'ai enfin ressenti le courage de me rendre au cimetière, mais cette visite a pas eu l'effet escompté que j'attendais. Je me suis honteusement senti ridicule à parler devant des tombes vides...

Par respect envers toi, je vais pas évoquer Erwin parce que tu sais déjà tout sur lui... Excepté que je vois son regard tous les jours dans les yeux de son fils.

Hansi... Elle était bien plus que ma supérieure : elle était mon amie, que j'ai pas pu retenir du suicide, alors qu'elle s'est battue pour m'arracher des griffes de la mort. L'attachement qu'elle ressentait envers moi, je l'ai malheureusement compris que trop tard. Je le remarque tous les matins dans le reflet du miroir de la salle de bain. Je sais qu'elle a réalisé un travail impeccable sur mon œil : as-tu une raison pour laquelle ma vue me fait parfois défaut ?

Numéro 2 : Pourquoi je ressens ce mauvais pressentiment que je régresse dans mes efforts, surtout dans la motricité de mes doigts ? J'ai l'impression de vivre une stagnation désagréable et inexplicable.

Numéro 3 : Mikasa parle souvent de cette émotion, que je comprends désormais mais pour une raison différente. J'ai écrit : "Je glisse à la hauteur de Marius.", pas : "Je m'assois à côté de Marius.". Si je peux pas dans quelques semaines plier mon genou, comment pourrais-je prouver à ta sœur que je l'aime ? Cet aveu est terriblement gênant, mais j'ai pas le choix car je veux pas perdre Hanna, la plus belle rencontre de ma vie et la femme que j'aime.

Sans jeu de mots : le chantier est colossal, n'est-ce pas ?

Prends soin de toi,

Livaï Ackerman

***

Bonjour Livaï,

Je m'accorde la pause de midi pour t'écrire : ma lettre ne sera ainsi pas parfaite comme la tienne, mais je souhaitais te rendre ton geste qui me ravit.

Je suis heureuse que tu n'oublies pas Erwin. Il me manque terriblement, mais je vois l'amour et le bonheur que nous avons vécus à travers Hanna et toi. Je suis contente que votre histoire se construise d'admiration, de complicité, de joie et de respect.

L'arbre sur la colline - Livaï AckermanOnde histórias criam vida. Descubra agora