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Deux heures que le bar est ouvert et je suis au bord de l'agonie. Je n'arrête pas de faire des allers-retours incessants entre les cuisines et la salle pleine à craquer. J'ai mal aux pieds, je suis en sueur, et trempée sur tout le devant de mon chemisier, tout cela parce que ces imbéciles de clients ne savent pas tenir un verre correctement dès qu'ils ont un gramme d'alcool dans le sang. Je suis fatiguée, et l'absence de mon bel inconnu accentue ma mauvaise humeur.

Les clients se bousculent devant les portes de l'établissement. Je peux entendre leurs grognements frustrés, leurs commentaires de plus en plus agressifs à l'encontre du serveur qui les fait rentrer au fur et à mesure.

Nous sommes samedi soir, comme toujours c'est la folie, mais ce soir c'est complètement dingue. Le pire dans tout ça, c'est que je dois m'en prendre qu'à moi-même. Il y a de cela plusieurs semaines, j'ai eu la brillante idée de vouloir faire venir ici, le groupe de rock le plus plébiscité de tous les temps. J'ai bataillé dur pour qu'il se produise au sein de notre bar un peu ringard. En premier lieu, il a fallu que je convainque mon boss d'accueillir des stars connues. Ensuite, j'ai dû user de mon charme et de très bons arguments auprès du manageur du groupe, pour qu'il accepte que ses poulains viennent jouer toute la soirée.

En vrai, si leur manageur a bien voulu me prendre au sérieux, c'est tout simplement parce que ses petits protégés ont trouvé l'idée super originale. Revenir se produire dans leur ville natale, c'était pour eux une évidence, une façon de remercier celui qui leur a permis de chanter pour la toute première fois sur une scène.

Mon boss ne l'avouera jamais, mais je sais qu'il est très fier d'eux. De plus, voir son bar retrouver un peu de sa popularité, ne serait-ce que pour un soir, le comble de joie. Depuis un certain temps, son établissement a perdu de sa fréquentation. Je ne pouvais pas laisser une telle chose continuer, j'ai donc eu cette superbe illumination de merde en découvrant une photo d'eux accrochée dans le couloir. Maintenant, je ne sais plus où donner de la tête, d'autant que l'équipe n'est pas au complet. Fort heureusement, je peux quand même compter sur ses deux pestes Aly et Amy, et sur Matthew, un serveur qui a débuté il y a une semaine.

Moi, et mes idées à la con !

Avec un sourire de façade, je prépare les verres d'alcool de plus en plus nombreux. Le groupe ne va plus tarder à monter sur scène, nous avons poussé chacune des tables contre les murs pour permettre à la foule de danser devant leurs idoles. Les clients s'impatientent et râlent tandis que d'autres me sourient gaiement, déjà bien éméchés. Je reste polie en toute circonstance même quand un connard prétentieux s'adresse à moi d'une manière qui mériterait que je lui pète les dents.

— Il ne faut pas deux heures pour préparer une putain de Tequila Sunrise.

Ma bouche se tord dans une espèce de grimace contrite. Ce mec m'agace au plus haut point, d'autant qu'il n'est pas tout seul à vouloir son verre d'alcool. Il tape du poing sur le comptoir, de plus en plus énervé.

— Qu'est-ce qu'il faut faire pour être servi dans ce bar de merde ?

Connard !

Respire Élie. Sers-lui son verre de gonzesse, qu'il fiche le camp.

Je m'active, m'empare de la bouteille de rhum.

Je sais, c'est une tequila, mais con comme il est, je suis sûr qu'il ne se rendra compte de rien.

La bouteille d'alcool mexicain passe malgré tout entre mes doigts pour en verser une goutte dans le shaker devant moi.

Il ne pourra pas dire que je n'ai pas mis de tequila.

Andoras, T1 : L'HéritièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant