26: Villar-d'Arène

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Il est 20h15 quand il gare enfin sa Dacia devant son appartement de vacances. Sur le parking enneigé, une seule voiture. Une Ford bleu foncé immatriculée en Italie à Turin. Voiture de location. Alors qu'il sort son sac de sport du coffre de sa Dacia, George fait volontairement autant de bruit que possible. Idem, lorsqu'il entre dans son appartement, ouvre les volets. Alors qu'il remonte de la cave après avoir ouvert l'eau, il entend la voix résonnante d'Ambroise :

Allons chevaliers de la table ronde,

Goûtons voir si le vin et bon,

Goûtons voir, oui, oui, oui,

Goûtons voir, non, non, non,

Goûtons voir, si le vin et bon

Ambroise se tient devant la porte de son appartement grande ouverte, les bras ouverts, une bouteille de vin de Savoie à la main droite. Pullover norvégien, peau à peine plus foncée que George, taille et carrure semblable. Derrière lui, une femme brune plus grande que lui à la peau olive, elle aussi avec un pull norvégien.

« Bonsoir Ambroise ! exulte George.

— Mon fils m'a dit que tu étais en quarantaine il y a deux semaines. Donc ton système immunitaire est à jour et je peux donc t'inviter chez nous pour un apéro. Je te présente ma copine du moment : Marcella. Elle ne parle pas français, mais anglais, finnois, suédois et espagnol.

— Et bien nous aurons notre conversation en anglais, » sourit George en se dirigeant vers la porte d'Ambroise.

Ambroisse Alassani avant. Ambroise Togolainen, maintenant. Ce n'était pas son nom de naissance, mais une fois devenu citoyen finlandais, il s'était rendu compte qu'il était facile de changer son nom de famille. Cela lui avait coûté 300 euros de frais de dossier, et lui avait permis d'accroître son salaire de 15%. Best investment ever. Comme quoi les Finlandais n'ont pas moins de préjugés racistes que les Français. Éclats de rire.

George acquiesce : la connerie est la richesse la mieux distribuée sur terre.

Rillettes de canard, œufs de lompe, tarama, canapés : un apéritif est vite improvisé dans le salon aux meubles en bois de chêne. Marcella, qui a visiblement moins de cinquante ans alors qu'Ambroise et George approchent la soixantaine, est professeure au collège. Professeur de mathématique et d'espagnol. En Finlande, au moins, les professeurs d'école sont aussi respectés qu'au Togo, pas comme en France ou en Suède. Ça doit faire du Togo le second meilleur pays du monde après la Finlande. Éclat de rire. Non, la clique de son excellence le président Eyadéma ne lui manque vraiment pas en Finlande. Même si le fils Faure est moins con que le père Gnassingbé, ça reste un fioga comme on dit en éwé.

Fioga ? demande Marcella.

C'est de l'éwé, la langue parlée au sud du Togo, explique Ambroise. En fonction de comment on prononce 'fio', fioga peut vouloir dire grand prince, ou grand singe. Le rire sonore d'Ambroise réchauffe tout l'appartement.

George commente auprès de Marcella qu'en Russie, quand ils étaient étudiants, le rire d'Ambroise était légendaire. Marcella demande si George est également togolais. Ambroise éclate à nouveau de rire. C'est vrai qu'ils se ressemblent pas mal. En Russie, les autres étudiants togolais les appelaient Atsou, et Atsou-Etsé. De l'éwé pour premier jumeau, et second jumeau. De nouveaux éclats de rire.

Puis George demande à Ambroise s'il a fait un peu de ski de rando depuis son arrivée. Non, Marcella est encore débutante, en Finlande ils n'ont pas de vraies montagnes ! A-t-on déjà vu un athlète finlandais gagner un slalom de ski ? De nouveaux éclats de rire.

L'espion à la fille désenfantéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant