18.

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Ophelia avait les yeux bandés lorsqu'elle entendit la lourde porte se déverrouiller – et cette fois-ci, il n'y avait pas de fleurs à ses pieds, pas non plus de brouhaha enjoué autour d'elle. Samuel ne tenait ni à ce qu'elle puisse en deviner le mécanisme, ni à ce qu'elle soit trop violemment éblouie quand il allumerait les spots. Elle avait obtempéré sans rechigner, consciente qu'en dépit de leur alimentation régulière, son corps et son esprit souffraient de plus en plus de la captivité. Samuel ne lui avait laissé ni le temps ni le loisir de chercher l'autre issue, celle par laquelle ils étaient entrés ; il avait beau tenir à elle plus qu'à toute autre chose, il avait aussi été témoin de son humeur changeante et ne pouvait se permettre de lui faire confiance. Il était encore bien trop tôt. À vrai dire, Samuel avait une vague idée du temps qui s'était écoulé depuis l'incendie, pour la bonne et simple raison qu'il avait déjà eu affaire à des côtes cassées, et qu'il savait combien de temps cela prenait à se remettre. Sa douleur : voilà quel avait été son repère depuis le tout début, même s'il s'était bien gardé de lui en faire part. Et bien qu'il ne soit clairement pas encore en état de faire plus de quelques mètres, il n'avait pas peiné tant que ça à se relever. Bien sûr, ça n'avait rien de très précis, mais cela lui suffisait amplement.

La première chose qu'elle remarqua, quand il la guida pour monter la haute marche qui les séparait du sas, ce fut l'odeur. Elle qui s'était tant habituée au climat humide et de plus en plus lourd, voire suffocant, de la cave étriquée dans laquelle ils avaient passé les derniers jours – ou semaines — elle eut l'impression de respirer pour la première fois. L'air était plus sec, et même si ça sentait tout de même un peu le renfermé, ou les vieilles choses, peut-être, eh bien, c'était le jour et la nuit. Au sens littéral aussi, d'ailleurs, car malgré le tissu sur ses paupières, elle n'eut aucun mal à percevoir de la lumière. Beaucoup de lumière. Ophelia, avide de sortir enfin de l'obscurité, porta machinalement les mains à sa tête pour se défaire du tissu.

– Attends, dit-il en retenant son bras. Ne bouge pas, ok ?

Elle resta immobile tandis que Samuel revint sur ses pas, saisit la glacière avec le nécessaire de premiers secours ainsi que le sac en toile dans lequel il avait préalablement rassemblé ce qui leur restait de conserves, puis la rejoignit. Ophelia entendit le bruit de la porte se refermer et Sam la verrouiller à nouveau. Elle comprit que ce changement d'environnement allait de pair avec un séjour relativement durable, voire définitif, qu'il ne serait sans doute pas question de revenir en arrière ; elle ne sut pas si cela était rassurant ou plus inquiétant que le reste. Samuel avait eu beau lui avoir avoué qu'il s'était mis à envisager de l'enlever dès qu'elle lui avait annoncé s'être fiancée à Joshua, il lui avait manifestement caché bien des détails. Ophelia n'avait aucune idée de ce qu'il avait pu préparer en secret. Jusqu'où avait-il été ?

Se plaçant derrière elle, elle le sentit la saisir doucement par la taille de sa main gauche et retirer le bandeau de ses yeux de la droite. Au début, elle ne vit rien d'autre que de vifs éclats blancs et jaunes. Puis, les gros points lumineux se changèrent progressivement en de plus petits, tandis qu'elle frotta vigoureusement ses paupières, avide. Finalement, elle ouvrit les yeux sur un endroit comme elle n'en avait jamais vu auparavant et qui n'avait rien de ce à quoi elle aurait pu s'attendre.

À vue de nez, la pièce devait faire dans les dix mètres carrés. Le sol était couvert d'une moquette rouge cramoisi d'aspect velouté. Il y avait des meubles en teck et des étagères assorties, d'apparence vintage mais sur lesquels il n'y avait pas la moindre trace d'usure, pas une rayure, rien de plus qu'une fine couche de poussière. Juste de vieilles enceintes. Comme s'ils avaient été entreposés là avant même d'avoir servi, mais des années – voire des décennies — plus tôt. Ce qui sauta surtout aux yeux d'Ophelia fut ce qui ressemblait à une large table de mixage, juste devant elle, devant ce qui semblait être une épaisse vitre accolée à une autre porte.

ENLÈVE-MOI (VERSION 2024)Where stories live. Discover now