CHAPITRE 14

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Voilà maintenant quelques jours que nous avons posé le pied sur le sol espagnol. Ma meilleure amie et moi avons profité de nos 17 ans respectifs en jouant de notre autonomie : plage, balade à vélo, shopping. Nous sommes allongées sur le lit de notre chambre d'hôtel. Cléo est sur son téléphone, sûrement en train de parler avec son frère qui n'a pas pu venir avec nous tandis que j'ai les yeux rivés au plafond, cherchant le meilleur moyen de lui confier mon plus lourd secret. Les paroles d'Iwan me reviennent en mémoire et je mets toute mon âme à m'imprégner de leur sens. Je soupire lourdement ; tout en me creusant les méninges depuis un bon quart d'heure déjà.

- Meuf ! Elle ouvre grand les yeux en me montrant quelque chose sur son téléphone.

Je ris à sa bêtise alors que la brune s'est déjà tournée dos à moi en ricanant. Je décide de chercher du soutien auprès du châtain ; je prétexte devoir appeler ma mère -ce qui n'est pas totalement faux puisque je compte le faire très prochainement- et appelle mon ami. Il décroche après la première sonnerie ; je souris rien qu'à entendre le son de sa voix et en voyant sa bouille du réveil qui apparait sur l'écran quelques secondes plus tard ; son sourire fait s'élargir le mien.

- Tout va bien ?

- Salut Iwan, oui tout va bien t'inquiètes pas !

- Alors, je te manque déjà c'est ça ? Il fait cette tête que j'aime tant, ce qui m'arrache un rire.

Je secoue la tête, m'accordant un léger temps pour l'analyser : les cheveux en bataille, les traits encore détendus du sommeil duquel je l'ai arraché, le côté de son visage appuyé contre l'oreiller sur lequel j'ai dormi quelques jours auparavant. Un sourire satisfait sur les lèvres, je ricane en lui répondant.

- C'est plutôt moi qui te manque à ce que je vois !

- C'est pas si faux que ça en même temps... Il fourre son nez dans le tissu. Je peux entendre son inspiration jusqu'à travers le téléphone.

Mon esprit me rappelle la raison pour laquelle j'ai appelé le châtain. Je soupire en baissant le regard sur mes mains se triturant entre elles.

- Qu'est-ce qui va pas ? Mon expression a eu l'air de l'avoir inquiété puisqu'il s'est assis sur son lit, le dos contre le mur, et qu'il me regarde intensément attendant ma réponse.

- Je sais pas comment amener le sujet sur la table, Iwan... J'ai essayé je te promets, mais j'arrive pas je sais pas., imagine si elle le prend mal ou qu'elle s'en fiche ?

Il secoue frénétiquement la tête.

- Mon ange c'est ta meilleure amie non ? Mon visage se baisse, lui répondant par la positive. Alors t'as pas à t'en faire, d'accord ? Elle tient à toi, elle veut juste que tout aille bien pour toi. Je suis là comme je suis sûr qu'elle donnerait tout pour l'être elle aussi. Cléo n'est pas bête, Liv, elle sait. Elle ne t'en parle juste pas par respect pour ton intimité. Elle te laisse ton temps ; le temps qu'il te faut pour trouver les bons mots, les bonnes émotions. Tout va bien mon ange, te presse pas. Elle sera là pour toi, pour te soutenir quoiqu'il arrive, et ça, toi comme moi le savons.

Je soupire en couvrant mon visage de mes mains ; il a raison et je le sais. Je sais que Cléophée ne me rejetterait jamais, qu'elle m'aime et qu'elle est là pour m'aider. C'est juste tellement difficile de mettre des mots sur tout ce que je ressens. J'ai tellement de mal à décrire clairement la douleur présente au fond de ma poitrine, celle qui s'expand de jours en jours, qui entre dans ma tête, m'empêche de dormir la nuit. Imaginez juste être blessé, mais ne pas savoir exprimer ce qui vous a blessé. C'est la pire façon de réagir au mal-être. Comment demander de l'aide et du soutien sans même savoir ce qui se passe dans son propre esprit ? C'est quasiment impossible à mes yeux. Je ne serai jamais légitime auprès des autres si je ne peux pas me confier, en parler ou simplement qualifier mes sentiments. Il faut pourtant que ça cesse ; les voix qui m'empêchent de manger, la douleur qui me pousse à me mutiler, la peur de juste me lever. Je soupire. Je ne suis pas légitime. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Certains vivent bien pire que moi. Je suis jeune, ça passera. J'exagère. Elle ne comprendra pas. Elle va rire, se moquer de moi. Elle ne m'aime peut-être pas finalement.

Je suis sur le point de rajouter quelque chose lorsque le sourire de la brune apparaît sur l'écran et que ses mains entourent chaleureusement mon cou, sa tête se posant sur la mienne. Mes deux meilleurs amis se parlent entre eux tandis que je reste là, le regard dans le vide. Je fais de mon mieux pour me convaincre du contraire de ce que me disent mes pensées. Ils m'aiment, tous les deux. Ils ne me détestent pas, ils ne m'abandonneront pas, si ? Une peur intense s'empare de mon être tandis que je me lève, me dirigeant vers la salle d'eau. J'entends ma meilleure amie prendre place sur la chaise que j'occupais à l'instant. Elle me demande si tout va bien. Je lui réponds que oui, la gorge nouée presque incapable de respirer. Je prends soin de fermer la porte à double tours après être entrée dans la salle de bain de la chambre. Je m'adosse au meuble de l'évier, les yeux clos. Ma poitrine se soulève excessivement vite, mes muscles se contractent. Je perds le contrôle, ma respiration se fait sifflante et de plus en plus courte. Je lève la tête en m'asseyant le dos contre la paroi du mur, cherchant désespérément à faire entrer l'air dans mes poumons, endoloris par l'angoisse. Je tente un exercice que j'ai beaucoup fait pendant ces dernières semaines de cours ; je tente de trouver 3 choses que je peux voir, 2 choses que je peux sentir, et 1 chose que je peux toucher. C'est l'enfer. Mon téléphone est resté sur le balcon de la chambre. Mes deux meilleurs amis ne se doutent probablement même pas de l'état dans lequel je me trouve et je me déteste d'être aussi faible. Je me déteste de les laisser gagner. Il a raison. Axel a raison. Tout serait plus simple si je disparaissais. Tout. Ils n'auraient plus de soucis à se faire. Ils pourraient enfin vivre en paix, sans se soucier de moi.

Ma respiration s'adoucit à mesure que j'énumère ces choses mentalement et je me remercie mentalement de lire beaucoup d'articles sur internet bien que je sache clairement que ça ne m'apaisera qu'un court instant. Mon souffle se réaccélère instantanément, j'ai peur. Je sais que ces crises là ne s'arrêtent pas toutes seules, j'ai besoin de quelque chose ou de quelqu'un. En l'occurrence, on va plutôt opter pour quelque chose. Je fouille, retourne les tiroirs, sans faire preuve de discrétion.

J'entends les pas de ma meilleure amie se rapprocher. La respiration sifflante, j'augmente la cadence et recherche promptement. Vite, vite, vite trouve-la. Elle entre dans la salle de bain, mon téléphone à la main et j'entends la voix d'Iwan lui demander si tout va bien.

Cléo me scrute, sans oublier de dénombrer les larmes sur mes joues et le rythme effréné auquel ma poitrine se soulève et s'abaisse. Elle pose ses mains sur mes épaules. Elle détail mon visage pendant quelques secondes avant de m'attirer contre elle. Sa main se glisse à travers mes cheveux, dans un geste qui se veut apaisant.

- Tout va bien, tout va bien, c'est fini.

J'appuie ma joue contre son épaule et soupire. Voici une raison de plus pour écouter Axel, mais ça, ni Cléophée ni Iwan ne le saura.

Life Is Worth LivingWhere stories live. Discover now