Lumière et ténèbres - tome 2 - Emma (premier jet)

Chapitre 18 : Comédienne

Emma

Petite, j'aimais faire du théâtre. Je ne sais d'ailleurs plus pourquoi j'ai arrêté de monter sur les planches. Je ne faisais pas du grand art, mais ma professeure avait l'air de penser différemment. Elle trouvait que j'étais très douée et que si je persévérais dans cette voie, je serais certainement un jour, une immense actrice. Grand bien lui fasse. C'était ses ambitions, pas les miennes. Être exposée sous le feu des projecteurs ne m'intéressait pas le moins du monde. Pas plus aujourd'hui. Cependant, mes quelques années d'expérience vont me servir ce soir. Je vais jouer ma plus belle improvisation. Je vais donner le meilleur de moi-même pour me faire passer pour une autre. Pendant le repas, je serais une princesse. Pas dans le sens littéral du terme. Non. Je serais une femme parfaite. Celle qui a de bonnes manières, qui se tient correctement à table, qui a la conversation facile, avec un sourire tellement éclatant qu'on la croirait tout droit sortie d'une publicité pour Colgate.

Cette pensée me rappelle une blague que nous faisions souvent avec Salomée. Avant que je parte en Afrique pour mon voyage humanitaire. C'était d'ailleurs l'un des seuls écarts qu'elle se permettait. Elle qui est la bienveillance incarnée et qui ne manque jamais de respect à personne, se laissait entrainer à rigoler avec moi quand nous croisions des femmes qui ressemblaient à des gravures de mode. Le teint parfait, les ongles manucurés, pas un cheveu ne dépassant de leur chignon. La tête pointée vers le ciel, droites comme des bâtons dans leur tailleur haut de gamme. Un sourire hypocrite, figé sur le visage.

Ce soir, je serais le symbole de l'élégance. Belle et raffinée. Je serais celle dont beaucoup d'hommes rêvent. Charmante, intelligente. Suffisamment effacée pour laisser toute la place au sexe « fort ». Une magnifique imposture.

Si je parviens à jouer correctement mon rôle, Samaël deviendra doux comme un agneau. J'en suis persuadée. Je connais déjà son point faible. À travers les conversations que j'ai eues avec Salomée, j'ai appris qu'il aime les femmes. Les réactions de son corps me l'ont confirmé. Il y en a dans son royaume, mais celles qu'il préfère ce sont les mortels. Je ne sais pas bien pourquoi, car les démons femelles sont réputés pour être de vraies bombes. Mais cette information va me servir. Je ne vais pas me priver de ce bel atout.

J'ai déjà pris une douche, ce n'est pas utile que je retourne me laver. Je porte encore sur moi l'odeur du savon à la pêche. Parmi toutes les magnifiques tenues que je viens de recevoir, il y en aura bien une qui sera parfaite pour ce soir. C'est un sacrilège de jeter au sol toutes ces merveilles, mais je n'ai pas le temps de toutes les essayer. Il faut que j'en sélectionne une. Je suis à deux doigts de me rabattre sur une jolie robe noire, cintrée, mais trop classique quand mes yeux se posent sur la perle rare. Je laisse mes doigts courir sur le tissu. L'étoffe est fine et fluide sous ma main. Je ne résiste pas à l'envie de l'enfiler. Grâce à la superposition de voilages, la transparence est atténuée. Cette beauté met mon corps en valeur sans que l'on ne décèle mes jambes. Sur le bustier, les plis symétriques rehaussent le décolleté. Ma poitrine qui ne porte pourtant aucun soutien est ronde et ferme. Les fines bretelles laissent mes épaules nues. Cette robe est l'incarnation parfaite de la féminité. Elle suggère, mais ne dévoile rien. Elle souligne les formes sans trop en montrer.

Faire travailler l'imagination des hommes est la meilleure arme des femmes. Et celle que je possède est une bombe nucléaire. Le petit Sam n'est pas prêt. S'il n'était pas déjà préposé au poste, tout me laisserait croire que je suis destinée à acquérir le rôle de la diablesse. Et à priori, je dois avoir un allié dans l'immensité de l'univers. Sinon, comment expliquer que cette magnifique robe, qui se fond si bien dans le décor environnant et de la même teinte que mes cheveux, soit arrivée ici comme par miracle ? Quelqu'un m'encourage à me mettre en action. Je ne vois que ça. Et je ne vais pas contredire cette personne.

Bref... Maintenant que j'ai la tenue parfaite, il est temps que je retrouve une apparence convenable. Et c'est le moment que je préfère. Je n'ai pas de formation d'esthéticienne, mais refaire une beauté à un visage fatigué, ça, je sais faire.

De retour dans la salle de bain, j'attrape mon nécessaire à maquillage tout neuf et je laisse la magie opérer. Je lisse mon teint, redonne un peu de chaleur à mes joues et je m'attarde sur mes paupières. Le fard charbonneux aurait été parfait pour mettre en valeur mes yeux bleus. Or je veux quelque chose de léger, naturel. À contrecœur, j'abandonne la poudre foncée. À la place, je me contente d'appliquer du mascara noir sur mes cils. La tentation est grande de colorer mes lèvres de rouge pourpre. Mais le message que cela enverra n'est pas celui que je désire transmettre. Sur ma bouche, ce soir, il n'y aura pas écrit, embrasse-moi. Et on ne pourra pas lire, baise-moi, dans mes yeux. Je serais plus subtile. Un simple « je suis une femme respectable et je mérite d'être traitée avec douceur » fera l'affaire.

En m'entendant réfléchir, je ne parviens pas à garder mon sérieux. Qui vais-je tromper en me faisant passer pour une demoiselle en détresse ? Un homme naïf. Enfin... J'espère que Samaël l'est. Sinon, je vais seulement me ridiculiser.