Chapitre 11

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— Puisque tu sembles ne pas vouloir te plier à la volonté de nos dieux et que tu ne sais pas où se trouve ta place, tu passeras quelques jours dans ta chambre pour bien réfléchir. S'éleva la voix du père de Sahar, alors qu'elle restait recroquevillée sur le sol en sanglotant, le corps meurtri de douleurs et ensanglanté.

Les yeux gonflés de larmes, Sahar leva les yeux, cherchant désespérément une once de compassion dans le regard dur de son père. Mais tout ce qu'elle vit fut le reflet de sa propre peur et de sa solitude.

— On va voir si ton Jésus pourra te libérer de mes mains, lança-t-il en quittant la pièce.

Tandis que les portes de sa chambre se refermaient sur elle avec un grincement sinistre, un silence oppressant s'abattit sur la pièce. Les lourds rideaux en soie cramoisis scellèrent son isolement, plongeant la pièce dans une obscurité étouffante. Le parfum enivrant de jasmin imprégnait les murs, mélangeant ses effluves avec l'odeur métallique du sang qui perlait sur la peau meurtrie de Sahar.

Elle se laissa tomber sur le sol froid, couvrant son visage meurtri de ses mains tremblantes. Les larmes coulaient le long de ses joues et venaient mourir sur ses mains frémissantes, marquées par la douleur infligée par l'homme qui était censé la protéger. La douleur physique de ses blessures n'était rien comparée à la douleur de son cœur brisé. Elle avait toujours cru en la bonté de son père, en sa sagesse et en son amour pour elle. Mais ce qu'elle avait vu dans ses yeux aujourd'hui était l'expression d'une cruauté qu'elle n'avait jamais soupçonnée.

Pourquoi devrait-elle subir de telles épreuves pour des dieux et des hommes qui semblaient si indifférents à sa douleur ?

Finalement, était-ce une bonne idée de poursuivre ce Jésus ? Avait-elle vraiment choisi la bonne voie en défiant les préceptes ancestraux ? Pourquoi avait-elle choisi cette voie, si semée d'embûches et de douleurs ? Pourquoi devrait-elle souffrir pour quelqu'un qui semblait si lointain autant que ces dieux qui lui étaient interdits d'accès ? Si Jésus était réel, s'il était un sauveur, pourquoi ne l'avait-il pas encore secourue de sa détresse ? Pourquoi devait-elle endurer ces épreuves sans fin, ces chaînes invisibles qui semblaient l'entraver à jamais ?

Son père dictait sa destinée, son époux déciderait de son avenir, et si jamais ce dernier venait à disparaître, ses fils prendraient le relais pour lui dicter sa conduite. Une existence régie par les hommes, où l'indépendance était un luxe réservé aux esprits libres. Les paroles cruelles de son père résonnaient encore dans sa tête, rappelant la dure réalité de sa condition de femme, soumise aux caprices des hommes et des dieux. Dans ce monde injuste et cruel, où les lois de la société semblaient la condamner à une vie de soumission et de misère, la jeune fille ne pouvait imaginer une quelconque issue possible.

Oh si seulement la mort pouvait venir la libérer de cette existence de souffrances !

Dans ce monde où les dieux et les hommes semblaient se liguer contre elle, la seule issue semblait être celle de la mort.

Elle tenta de se relever, ses membres endoloris criant de douleur à chaque mouvement. Vacillante de douleur et de chagrin, elle se releva péniblement, sa silhouette frêle et abîmée se découpant dans l'obscurité étouffante de sa chambre. Les larmes ruisselaient sur ses joues pâles, mêlant leur trace à la poussière qui recouvrait son visage. Sahar laissa échapper un sanglot de douleur tandis qu'elle se traînait jusqu'à son lit, à demi consciente de la gravité de la situation. Elle regarda par la fenêtre, laissant son regard se perdre dans l'obscurité de la nuit. Au-delà des murs de sa chambre, devenue sa prison, la nuit sombre enveloppait la capitale de l'État indien du Maharashtra, plongeant celle-ci dans un silence accablant. Les étoiles scintillaient au loin, indifférentes au drame qui se jouait dans l'obscurité.

Son esprit était empli de questions sans réponse, de doutes et de tourments.

Pourquoi devait-elle endurer de telles épreuves au nom de croyances qui lui semblaient si lointaines et si cruelles ?

Elle s'était pourtant efforcée de croire qu'au-delà des carcans de la tradition et des dogmes religieux, qu'il, existait un autre chemin. Elle avait toujours été une âme en quête de vérité, une jeune femme insatiable de connaissances. Mais aujourd'hui, sa quête semblait la mener vers l'abîme de la désolation.

Peut-être s'était-elle laissée endoctrinée comme son père le prétendait ?

La jeune femme se laissa tomber sur son lit, laissant ses pensées vagabonder dans les méandres de son esprit tourmenté par les paroles de son père. Se recroquevillant sur son lit, elle essayait de calmer sa respiration saccadée et de sécher ses larmes, mais son esprit était accablé par les paroles prononcées, par les coups reçus, par le poids de traditions oppressantes et d'une foi qui semblait la condamner.

Esseulée, la solitude et la peur l'envahissaient. Elle laissa son regard errer sur les murs décrépits et ébréchés. Son corps meurtri par les coups la tiraillait, sa fierté enlisée par les injonctions qu'on lui imposait, elle se sentait leurrée dans un monde où sa voix n'avait pas de poids.

Les heures s'écoulaient lentement, les ténèbres de la nuit enveloppant la pièce dans un silence pesant. Alors que la douleur lancinante continuait de pulser à travers chaque fibre de son être, Sahar se retrouvait capturée dans un tourbillon d'émotions contradictoires.

« Pourquoi devrais-je me taire et me plier à ces lois injustes ? », murmura-t-elle à voix basse, son regard fixé sur la fenêtre par laquelle échappait un rayon de lune. « Pourquoi devrais-je sacrifier ma liberté pour satisfaire des dieux qui ne m'ont jamais entendue ? »

Les doutes et les questionnements la tourmentaient, mais au fond de son cœur, une voix lui murmurait que peut-être, juste peut-être, il existait une forme de liberté au-delà des conventions et des traditions qui l'opprimaient. Éventuellement que Jésus, ou peu importe quel Dieu était réel, serait là pour elle.

Alors, dans un geste empreint de désespoir, elle décida de murmurer une prière interdite. Les mots s'échappèrent de ses lèvres craquelées, empreints de toutes les interrogations qui tourmentaient son âme anxieuse :

Jésus, chuchota-t-elle, sa voix tremblante de doutes et de peur. J'ignore si tu existes pour de vrai, Méera disait pourtant que tu es bien réel. Mais, je n'arrive plus à y croire. Si tu existes vraiment et que tu es l'unique Dieu que tout être humain doit adorer, pourquoi ne m'as-tu pas laissée périr lorsque je suis sortie du sein de ma mère ? Ai-je même le droit de te parler, de m'approcher de toi ? N'attirerais-je pas la foudre de ta colère sur moi,  puisqu'une femme n'a pas le droit de toucher les dieux, car elles sont impures et indésirables.

Jésus, si tu m'écoutes, je suis Sahar. Je ne te connais pas et je ne sais pas si tu me connais. Toute ma vie, j'ai adoré de nombreux dieux qui sont restés muets jusqu'à aujourd'hui. Je n'ai même pas le droit de les frôler. Par mégarde, cela s'est produit aujourd'hui. La colère de mon père s'est abattu sur moi, alors qu'il était déjà furieux après moi, car je me suis intéressée à toi, à cause de tout ce que me racontait mon amie à ton sujet. Jésus, si tu es là, si tu me vois, si tu m'entends, aide-moi, murmura-t-elle dans un souffle presque imperceptible.

𝗟𝗔 𝗩𝗜𝗦𝗜𝗧𝗘 𝗗𝗨 𝗣𝗢𝗧𝗜𝗘𝗥Où les histoires vivent. Découvrez maintenant