Lumière et ténèbres - tome 2 - Emma (premier jet)

Chapitre 21: Premier rendez-vous

Emma

Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête, mais en l'espace de quelques secondes, Samaël a opéré un changement total de comportement. Il vient de lâcher brusquement mon bras et de me laisser plantée devant la table. Je dois me débrouiller seule si je veux m'asseoir. Mon fauteuil pèse une tonne. Qu'est-ce que ce truc est lourd, j'ai mille peines à le pousser. Pour des raisons évidentes de combustion, je ne m'attendais pas à dénicher du bois en enfer. J'oublie où je me trouve. Certainement que la magie du lieu permet d'y installer n'importe quoi sans risquer de le voir périr à cause des flammes ? En est-il de même pour moi ? Puis-je rester ici indéfiniment sans craindre de brûler vive ou de me laisser engloutir par la noirceur qui règne ? Bonne question, je n'en sais rien du tout. Encore une réponse que je dois obtenir de mon hôte acariâtre.

Tout à coup, je perds mon assurance et un peu de ma dignité aussi. Que disais-je tout à l'heure ? Que j'allais m'effacer pour donner plus de place au sexe fort ? Je n'aurai pas cru si bien dire. Plutôt que de se lever pour venir m'aider, il décale mon siège d'un geste de la main. Quand je suis assise, il me rapproche de la table, toujours à distance, sans se fatiguer, comme il l'aurait fait avec une enfant. La seule chose qui pourrait m'humilier davantage serait qu'il fasse surgir une serviette et qu'il me la noue autour du cou. Impossible de faire plus antipathique. C'est reparti, les hostilités sont ouvertes, je ne parviendrais pas à le charmer aussi facilement que je le croyais. Je vais devoir me montrer maline, faire attention à chacune de ses réactions pour ajuster les miennes.

Je n'ai aucune envie d'être ici. Encore moins de faire semblant d'être séduite par cet individu. OK il est beau comme un dieu, mais ça s'arrête là. Il est odieux et abuse de ses pouvoirs. C'est un tyran. Tout ce que je déteste. Mais pour avoir une chance de rentrer plus vite, je dois faire bonne figure. C'est bien connu qu'une femme qui réussit à mettre un homme dans sa poche parvient à lui faire réaliser n'importe quoi. C'est vraiment moche de ma part de vouloir qu'il s'attache à moi, avant de lui briser le cœur pour qu'il n'ait pas d'autres choix que de me renvoyer chez moi. Ceci dit, il le mérite. S'il ne m'avait pas autant malmenée, je n'aurais pas ce désir de lui faire regretter son geste. Je suis consciente qu'il m'a sauvée. Mais en retour, il attend de moi que je sois docile. C'est mal me connaître.

Pour reprendre le contrôle de la situation, je préfère m'attarder sur quelque chose de positif. Je me reconnecte à l'instant présent. Me focaliser sur quelque chose de concret me permettra peut-être de ne plus broyer du noir.

Trop étouffée par mon égo blessé, j'en ai oublié de satisfaire ma curiosité. Je tourne la tête pour faire du repérage. Le manque de lumière et l'absence de repères ont quelque chose d'écrasant. Je ne vois que la table autour de laquelle nous sommes assis. Je sens le poids de l'air s'abattre sur mes épaules. Je commence soudain à angoisser. J'aime les endroits confinés et le confort de mon petit nid douillet. Toutefois, dans cet environnement où je ne perçois aucune frontière, je suis très loin de mon cadre rassurant. Une chappe de plomb me tombe sur la tête. De façon évidente, ici, la pénombre est une habitude qui règne. Impossible de distinguer quoi que ce soit. De ce fait, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter, de penser à tous les monstres cachés dans le noir, de sentir des choses caresser mes chevilles. J'en ai des frissons. Le serpent que je vois onduler doucement sur le sol, attendant le moment le plus opportun pour venir planter ses crochets dans ma chair est-il réel ? Est-ce le fruit de mon imagination ? D'ailleurs, n'associe-t-on pas le diable à un reptile ? Suis-je folle en pensant qu'un être surnaturel rampe sur le ventre, dans ma direction, avec l'idée de m'empoisonner dès qu'il en aura l'occasion ? Ou bien est-ce vraiment en train de se produire ?

Non. Je débloque. Samaël est en face de moi, sous sa forme humaine, bien visible. Il n'a pas cessé de me regarder. Je suis en train de devenir cinglée. Cependant, il arbore un air de défis. Encore une fois, il marque son territoire et me fait comprendre qu'il est chez lui, je ne suis que son invitée indésirable. Ne supportant plus les sensations désagréables de peur qui s'installent en moi, je me résigne à lui demander d'abandonner ce petit jeu.