Partie 3 | Yann !(10)

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Chapitre 10

Au réveil des fleurs, je fus tiré de mon sommeil par un postier. Il ne fit aucun bruit, mais je sentis sa présence. Une impression étrange, que quelqu'un vous épiait. J'entrouvris un œil, encore ensommeillé. La même créature qu'hier se tenait devant moi, portant une enveloppe sur sa tête, qui était aussi tout le reste de son corps. Eh bien, ça avait été rapide.

En parcourant la lettre du regard je ne vis que des formalités, qui se résumait en une phrase : ils n'y avaient vu que du feu. Noisette était pris.

Je m'habillais en vitesse : chemise et veste noire, corbeau dans le dos, jean et mocassins de la même couleur jais. Je nourris Frégate, qui m'accompagnait partout. Et une nouvelle journée commençait. Je fus toutes mes tâches habituelles : prier, organiser une cérémonie en honneur de la Déesse Amaya, encore prier, réconforter et pardonner de pauvres pécheurs, rendre visite à une vielle femme qui ne pouvait se rendre au Temple, m'occuper des corbeaux. Les onze jours suivants furent assez semblables.

Ah oui, j'oubliais, j'avais également terminé la lecture du bouquin que ma sœur m'avait offert. La seconde partie traitait d'une aventure amoureuse d'une belle et riche princesse et d'un gentil et pauvre berger. Tout deux s'aimaient, mais leur amour était impossible, car la princesse était promise à un duc. Finalement, tous les deux fuyaient à tout jamais, et avaient quatre enfants.

La troisième partie évoquait un temps de guerre avec pour héroïne une jeune femme qui avait eu un coup de foudre pour un soldat de l'armée ennemie.

Enfin, la dernière était celle de deux jeunes femmes qui étaient tombées amoureuses. Malgré les reproches de leurs familles, elles avaient fini par se marier.

Le point commun de ces nouvelles était l'amour interdit. Je me demandais pourquoi ce roman n'avait pas été censuré, ça allait bien plus loin qu'un plaisir inutile. Ces histoires remettaient en cause les Lois et la religion. Peut-être avaient elles pour but de dénoncer, les passions qui bravaient les règles. Mais pourquoi chacune des fins était une happy end.

En-tout-cas, je pouvais être certain que ma sœur était complètement folle de m'avoir conseillé ce livre. Je n'avais pas besoin de ça pour éprouver un amour hors norme. Cela était presque ironique, j'avais passé tant de temps à m'inquiéter pour ma sœur et Yann, mais Noisette et moi, c'était pire, mille fois pire.

Frégate se frotta à moi. Elle avait envie de caresses ou juste faim. Elle avait déjà considérablement grandi et je peinais à la faire rentrer dans mon sac. Donc la jeune chatte montait sur mon épaule, me plantant ses griffes dans la chair, ce qui faisait rudement mal, mais on s'y habituait.

— Il y a quelqu'un ?

C'était Noisette. Je l'avais revu durant ses onze jours, juste le temps d'aller boire un coup et d'échanger quelques mots. Il était très occupé par son nouveau travail et voulait faire bonne impression.

En même temps, c'était mieux ainsi. Moins on se voyait, moins il y aurait de chance qu'il soit viré de son poste de policier. Mais alors que faisait-il là ? C'était tard le soir, les fleurs n'émettaient plus qu'une faible lueur, il devrait se reposer au lieu de venir ici batifoler.

Paëlla était descendue le rejoindre, car je les entendais discuter mais je ne distinguais pas un mot de ce qui se disait. Mais je sentais une certaine tension ou plutôt crainte régner dans la brume. Je sortis alors de ma chambre pour regagner l'escalier et ainsi m'approcher des voix.

— Dans cinq jours, dis-tu ? Demandait Paëlla d'une voix étranglé, comme si elle pleurait.

— Oui, il va falloir faire vite, si nous voulons agir. Répondit Noisette l'air grave.

— Bien sûr que nous allons agir ! Je ne vais pas laisser là sans rien faire ! Hurla ma sœur, avec colère tout en essuyant ses larmes.

Mais que se passait-il, pour qu'elle soit dans un état pareil ?

— Bien, demande à tes parents de garder ta fille et nous partons sur-le-champ. Concilia Noisette avec calme.

— Et Miel ? S'enquit ma sœur en réprimant un sanglot.

Même si je ne voyais pas la scène, je l'imaginais prendre sa tête en ses mains, son mascara coulant de ses yeux.

En entendant mon nom je tressaillis puis plaquai une main sur ma bouche. Mince. Heureusement, aucun d'eux ne vint en ma direction. Ils étaient trop occupés, et... paniqué dans le cas de Paëlla.

— Non, je ne veux pas l'impliquer dans tout ça, tu imagines il... Commença Noisette d'un ton ferme.

— Il disparaît comme Yann. Compléta Paëlla, avant de fondre à nouveau en larmes.

Un long silence, s'ensuivit avant que Noisette ne reprenne la parole avec douceur, malgré tout les mots qu'il prononça eurent l'effet d'un coup de griffe sur ma sœur.

— Nous savons bien tous les deux que Yann n'a pas disparu.

Elle ne put résister. D'une rage terrifiante, ma sœur jeta tous les objets qui lui passaient sous la main. Enfin, c'est ce que je déduis car j'entendis le fracas du verre qui se brise, de la porcelaine émietté et du métal abîmé.

À qui vouait-elle cette colère monstre ? À Noisette ? Non, sinon elle lui aurait tout jeté à la figure, et j'aurai entendu ces cris de douleur. Et comment ça Yann n'avait pas disparu ? Où était-il dans ce cas ? Avait-il trompé ma sœur ? Était-ce la raison de son énervement ? Toutes ces questions se bousculaient dans mon cerveau. C'est le moment que je choisis pour faire mon apparition, avec des remords pour avoir écouté aux portes.

Un Monde Incolore (EN COURS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant