- 11 - La Partie d'échecs

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Il ruminait encore ces sombres pensées à l'heure du petit déjeuner. Ce premier repas était très peu protocolaire. Chacun se présentait à l'heure qui lui convenait sans avoir besoin de calquer leur comportement sur celui de la reine. En le croisant ce matin-là, Acacia l'avait salué de la même façon que d'habitude, et il avait fait de même, masquant habilement les préoccupations qui le rongeaient.

Ou du moins, pensait-il.

— Mon cher, vous avez une mine épouvantable, constata le prince Saule, passant auprès de lui alors que Jaspe se levait de table. Méfiez-vous, vous risqueriez de faire fuir ma sœur.

Submergé par la bonne humeur du jeune homme, Jaspe eut un rire contraint.

— Je crains bien qu'aucune de mes mines ne soit du goût de votre sœur, grinça Jaspe.

Les fins sourcils de Saule se froncèrent, toute trace de légèreté envolée de son visage. Jaspe écarquilla aussitôt les yeux, horrifié de ce que le manque de sommeil le laissait dire.

— Je vous demande pardon, se hâta-t-il d'ajouter. J'ai très mal dormi, ne prêtez pas attention à mes paroles.

— Au contraire, dit Saule. Je pense que vous avez grand besoin que l'on prête attention à vos paroles. Vos véritables paroles. Dites-moi, savez-vous jouer aux échecs ?

— Euh... oui, bien sûr, pourquoi cette question ? bafouilla Jaspe, désarçonné par le brusque changement de sujet.

— Écoutez-moi tous ! lança alors Saule dans la pièce. J'aimerais proposer un rythme différent pour cette journée. Ni visites ni spectacles. Juste quelques activités reposantes au sein du palais. Et cela me permettrait de parler politique avec le prince Jaspe. Qu'en pensez-vous, Mère ?

La reine sirotait un verre de thé avec un plaisir évident. Elle leva vers son fils des yeux stupéfaits.

— Vraiment ? Tu voudrais parler de politique ? s'étonna-t-elle. Je ne peux que t'y encourager, mon fils. Fais mieux connaissance avec le prince Jaspe, après tout vous êtes tous les deux amenés à régner un jour.

Saule salua élégamment sa mère pour la remercier puis s'approcha de sa sœur qui, debout devant la table du déjeuner, faisait disparaître un petit pain dans sa poche.

— Je t'emprunte ton fiancé pour ce matin, lui annonça-t-il. Je compte sur toi pour trouver de quoi divertir la princesse Béryl.

La jeune femme parut surprise. Elle jeta un œil vers Béryl qui, encore à table, étalait avec application du miel sur une crêpe épaisse. Elle haussa alors les épaules avec désinvolture et leur adressa un grand sourire. Un sourire que Jaspe trouva un peu trop soulagé.

— D'accord, pourquoi pas ! répliqua-t-elle. Amusez-vous bien, messieurs !

Saule conduisit Jaspe jusqu'à une terrasse que celui-ci n'avait encore jamais vue. Elle surplombait très agréablement les jardins. Des toiles colorées étaient tendues au-dessus de leur tête, les protégeant tant du soleil que de la pluie. Saule désigna l'une des tables basses qui occupaient l'espace. Avec appréhension, Jaspe s'installa dans l'un des fauteuils rebondis, le genre de fauteuil duquel on ne sait jamais si on arrivera à s'extraire. Comment allait-il bien pouvoir se tirer de cette discussion ? Saule s'assit en face de lui et se baissa pour sortir de sous la table un grand échiquier. Il le posa entre eux et commença à disposer les pièces. Jaspe saisit l'un des dragons, intrigués par la délicatesse de la sculpture. Au creux de sa main, la pièce était lourde et froide.

— C'est amusant, savez-vous dans quoi elles sont sculptées ? demanda Saule avec un sourire espiègle. Dans du jaspe. Du jaspe rouge et du jaune. D'ailleurs, je vais vous laisser les jaunes et prendre les rouges. J'en profite, pour une fois que j'ai un adversaire que ça ne doit pas déranger !

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Conte de l'Aube et du CrépusculeWhere stories live. Discover now