Chapitre 1

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– Maman ! attention !

Une embardée soudaine me projette contre la vitre, celle-ci éclate et tous les débris de verre volent dans l'habitacle. Je me sens tourner, la voiture faisant des tonneaux sur la route sombre. Un bruit monstrueux de tôle qui se déforme déchire la nuit, la portière à ma droite s'enfonce sur elle-même.

Je sens le plastique du tableau de bord et de la porte se refermer brusquement sur mes jambes, un cri de douleur sort de ma gorge, la brûlant comme de l'acide.

Finalement, nous nous immobilisons. J'ai la tête en bas, enserré dans mon siège par la ceinture qui semble lacérer ma peau. Je tourne lentement la tête et remarque la place du conducteur vide.

— Maman...

Ma voix est faible et enrouée. Mes bras pendent de chaque côté de ma tête, lourd et pesant. Je sens du liquide chaud et légèrement visqueux couler le long de mon visage.

Un acouphène me prend dans l'oreille, c'est un bruit sourd, désagréable et entêtant qui bat au même rythme que mon cœur. Mes yeux se ferment doucement, comme si une masse s'appuyait sur mes paupières.

Mon souffle est lent et superficiel. Je ne me sens pas trop bien...

— Ma...man...

Après une autre tentative sans réponse, je perds connaissance, attiré dans les méandres les plus sombres de mon esprit, comme écrasée par une pression invisible.


8 mois plus tard...

J'ouvre les yeux, les larmes s'accumulent dans ma rétine. Je fixe la photo de la femme qui m'a élevée, entouré de fleur et de ballon, son cercueil reposant au centre de ces décorations. Je serre les doigts, crispée par l'horreur de tout ce qu'il m'arrive.

J'ai perdu ma mère Lucie dans cet accident de voiture. Un groupe de biches que nous avons tenté d'éviter nous a mené à ce désastre. Ses séquelles étaient si importantes qu'elle était en mort cérébrale... Je l'ai gardée en vie des mois durant, le temps de me rétablir, ensuite, j'ai dû prendre une décision. Je frotte rageusement les larmes qui coulent sur mes joues rosies et baisse le regard sur mes jambes.

Pourquoi ?

Un étau semble écraser mon cœur, le faisant saigner dans ma poitrine, le sang quittant peu à peu mon organe vital.

J'attrape vivement la main courante près des roues et me retourne pour quitter l'allée à petit coup de bras vers l'avant. Les gens s'écartent sur mon passage, une moue peinée face à ce qu'il m'arrive. En plus d'avoir perdu ma mère... j'ai perdu mes jambes.

Ma moelle épinière est endommagée au niveau de la première vertèbre lombaire... autrement dit, tout ce qui se trouve sous mon bassin est paralysé. J'ai très peu de chance d'avoir des améliorations.

Je suis coincée dans ce fauteuil ad vitam æternam...

Une nouvelle vague de larmes menace de couler, je m'empresse de quitter la salle et pars me cacher dehors. Le soleil m'éblouit de manière vive, les parterres de fleurs dansant dans une légère brise. C'est un bel endroit... je suis certain que ça lui aurait plu.

J'entends alors des pas incertains derrière moi. Je ferme les yeux, soupirant déjà rien que de penser à la discussion à venir.

— Kaëlys, je... toutes mes condoléances pour ta mère.

C'est Peter, un ami d'enfance. On a vécu toute notre vie ensemble.

— Merci, Peter...

Ma lèvre inférieure tremble légèrement et j'inspire un grand coup, essayant de chasser ce mal-être aussi profond que destructeur. Je n'ose pas le regarder, car je sais parfaitement que je ne verrai dans ses yeux que de la pitié.

La Faiseuse de rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant