Chapitre 2

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Je m'appelle Olivier Kermin, et ça fait 10 minutes. 10 minutes, à peu près, que je cherche une belle manière de commencer ce journal. Une belle punchline pour une belle intro, vu que la conclusion est déjà connue et que je ne suis pas sûr d'être en mesure de l'écrire moi-même, car voyez-vous je vais décéder sous peu.

Plus que six mois, à peu près, à patienter. Une maladie mortelle mais un truc original attention. Pas un petit cancer dont tu meurs après six mois de traitements intensifs en ayant l'air d'y croire. Une maladie rare, génétique. Bien heureux, pour une fois, de n'avoir ni enfants, ni frères, ni sœurs. Quant à mes parents : adoptifs. Complétons la fiche signalétique : cadre dans une société de service informatique.

Ma première décision suite à cette nouvelle ? Donner mes DVD de Dr House.

Ma seconde : Contacter tout ce que je pouvais d'amis pour une grosse soirée. Je me suis creusé la tête pour trouver comment leur annoncer. Un par un ? Magistralement ? Y-a-t-il seulement une bonne manière de le faire ?

Nous savons tous la difficulté de réunir une trentaine de trentenaire (pure coïncidence) pour une soirée : entre les fatigués du taf, les enfants à garder, les promesses de nouvelles conquêtes ou les visites de famille ... Il a fallu que j'insiste lourdement pour qu'ils fassent l'effort et décommandent ce qu'ils avaient déjà prévu, que je fasse miroiter une annonce importante.

J'ai fait les choses en grand, je ne suis pas un manche en cuisine mais vivant seul j'ai rarement l'occasion de me motiver à sortir plats et recettes plus compliquées que les spaghettis au pesto.

Il y a une chanson d'Aston Villa (le groupe de rock Français, pas le club de football) Slowfood, qui m'a toujours mis l'eau à la bouche. Je m'étais juré de l'utiliser pour un repas de réveillon. Vu que niveau timing on risque d'être un peu court, c'est l'occasion ou jamais. Pour les paroles ça donne ça (merci Internet)

Pascaline d'omble chevalier, fine escalope pochée dans une infusion d'herbes fraîches, au poivre de Madagascar. Gelée au vin de paille, bouquet d'écrevisses liées d'un sabayon au cédrat. Millefeuille croustillant au château Climace 1995, pressé de chou, cœur de bœuf, et chair de tourteaux assaisonné d'un beurre fondu, cerfeuil et miel d'arbousier, une déclinaison d'asperges vertes et blanches. Pigeon Gaultier rôti entier, puis terminés à l'étouffé dans un poivron rouge, galette d'oignons cebettes aux fruits sec, miroir cassili de vin, échalotes confites et trait de chocolat amer.

Les poissons bleus : Pavé de boni, cuits en cocotte, terminé dans un jus de Lisay au Vadouvert, escabette de sardines à l'aubergine, poêlée de thon rouge, lié d'un suc de crevettes grises, pissaladière d'anchois frais, au pool de chou.

Les langoustines: Trois préparations de langoustines bretonnes grillées, terre de sienne, en tartare et en mousseline, infusion de crustacés aux girolles liées au caroube, salade de morgiboule, tuile, amandes et citron vert

La charcuterie fine : Ballottine de fois de canard aux graines de moutarde, râpée de chorizo, pâté de veau truffé, chiffonnade de poirées rouges, bouillon cultivateur bellota tartinée d'une pâte de figues au Xérès, lomo portugais, coppa corse, et oreilles craquantes de cochon, tarte fine au lard colonna, tomates et poires sèches au romarin, boudin noir maison à la cannelle.

Le biscuit soufflé à la vanille : vanille de Tahiti, cascade napolitaine, spirale de caramel à l'angélique, petit biscuit tiède

Le homard en trois services, petit homard bleu, poché au moment, puis simplement enrobé d'un beurre noisette, gingembre et citron bergamote, boconcini, haricots, viande et pinces, en salpicon, consommé glacé à l'amande verte, foccachia coraillée.

Le bar : Bar de ligne cuit entier en papillote au citron de menton, jus de cuisson « Jodhpur » à l'orge perlé, pulpe glacée de pommes vertes, coriandre fraîche et coco râpé

Le biscuit soufflé à la chartreuse : Liqueur verte des pères chartreux, chartreuse jaune, paillettes et en gelée. Trois petites pâtisseries célestes : un sacristain, une religieuse, un capucin.

Accompagné du double d'alcool nécessaire pour trente comas éthyliques.

Au fait ? Pourquoi je vous impose ma prose ? Une idée de mon psy. Il parait que ça va m'aider à ne pas péter un plomb trop vite. Autant laisser une trace de qui j'étais, au moins pour les trente amis.

Mais avant la fête, le boulot, j'aurais pu annoncer ma démission via la lettre recommandée d'usage, mais ça aurait manqué de panache, et puis une occasion comme celle-ci ne risquait pas de se présenter à nouveau. Sauf si on croit en la réincarnation bien sûr.

Une société de service informatique, ça cherche à rendre service en se mettant au service de son client. Dans mon cas une grosse société du Cac40. Elle nous donne beaucoup de devoirs et peu de droits et comme l'univers aime l'équilibre, on lui donne l'exact inverse. Bon, nous ne sommes pas philanthropes non plus, on ne fait pas ça pour la beauté du geste. Mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai jamais rencontré de client pleinement heureux de travailler avec nous. Je pense que l'être humain préfère l'autarcie.

Alors, lors de la grande messe mensuelle, théâtre habituel des plus belles séances d'auto-congratulation et, au passage, de la signature de la facture, lorsque j'ai du parler de l'avancement des projets en cours, il se peut que j'ai un tantinet balancé que j'attendais depuis un an et demi, les plannings, documentations, validations des procédures et autres livrables et que le défaut de management de leur côté commençait à peser lourdement.

Stupéfaction et mutisme, regards plongeants vers la table des deux côtés. Balbutiements et début de reformulation positive du côté de mon management et annonce de démission. Et je parti tel un prince fier de sa propre magnanimité après avoir épargné des condamnés à mort.

Un remake soft de « au revoir, au revoir président. »

J'ai fait un dernier détour par mon bureau, tandis que mes responsables tentaient de rattraper ce qui pouvait l'être. J'ai prévenu mes proches collègues en leur rappelant de ne pas manquer ma petite soirée. Suis allé voir les plus casse-couilles, pour qu'enfin quelqu'un leur dise à quel point ils l'étaient (vu qu'en général personne ne leur dit de peur de les rendre encore pire) et ai joué un remake de mon départ princier.


Mourir 2 foisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant