5.

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J'attendais donc Laïa, le lendemain, devant la devanture du photographe établi dans notre bourgade. Elle était en retard et, nerveuse, je déplissais constamment ma robe parfaitement repassée. Mon reflet m'était renvoyé par la vitrine miroitante du magasin. Je le contemplais distraitement. Je portais une petite robe blanche et noire, cintrée au niveau de la taille par un épais ruban noire. La jupe évasée de couleur sombre tranchait à côté du blanc pur du bustier décoré par un nœud, rappelant élégamment la couleur de la partie inférieure. Mes cheveux sombres était tressé de manière délicate et descendais doucement dans ma nuque avant de continuer en chute libre sur le devant de ma robe. Je passais mes doigts dans ma chevelure et détournais les yeux de mon reflet. J'étais on ne peut plus banale.

Laïa arrivait au loin, je lui fis un signe de la main qu'elle me rendit. Elle courut dans ma direction. Ses cheveux sombres flottaient comme un nuage mousseux autour de son visage éclairé d'un large sourire. Ses grands yeux bleus pétillaient de malice. Elle était sublime dans sa robe bleue turquoise. C'est essoufflée et le visage joliment rosé qu'elle s'arrêta devant moi. Je la saluais et la complimentais sur sa tenue. Nous nous étions toutes les deux mises sur notre trente-et-un.

Laïa entra la première et je la suivis, anxieuse. Je n'avais jamais été prise en photo jusqu'ici. Ce matin, ma mère m'avait donné de l'argent pour deux photos alors que mon père grognait que c'était une dépense inutile. Personne ne l'avait écouté.

La clochette tinta lorsque la porte s'ouvrit t je m'engouffrais dans le petit magasin. Carlos s'avança vers nous, un grand sourire aux lèvres. Laïa semblait éblouie par la beauté du jeune homme. Ses joues se colorèrent d'une touche pourpre alors que le jeune garçon dardait sur elle ses grandes prunelles vertes.

- Laïa, s'écria-t-il avec une joie non feinte, je suis ravie de te voir !

Ils restèrent à se regarder un instant. Je les regardais, tous les deux. Finalement, je m'avançais et saluais Carlos. Il me regarda avec surprise avant de sourire.

- Oh ! Fifi... Je ne t'avais pas vu ! Salut !

Il se gratta la tête d'un air gêné. Je lui souris alors qu'au fond, j'étais déçue. Il ne m'avais pas vue ! Étais-je si invisible ? Je le suivis vers l'atelier de son père, le photographe. Ce dernier nous accueillit avec un grand sourire. Moi, je le saluais à peine tellement j'étais subjuguée par les lieux. Les murs étaient d'un blanc splendide et partout, trônait des appareils en tout genre qui, je le présumais, servaient à faire des photos sublimes. Au centre de la pièce se trouvait un majestueux fauteuil rouge. Dire que chez moi, il n'y avait que des chaises en bois... Je mourrais d'envie de me prélasser dans ce fauteuil alléchant et visiblement moelleux.

- On commence par toi, Laïa, proposa monsieur Gauthier en lui faisait un signe pour l'inviter à s'installer.

Carlos se pencha et lui chuchota :

- La plus jolie d'abord !

Et il ponctua sa phrase d'un clin-d'œil fugace. Je me sentis rougir. C'était stupide mais cette remarque me blessait. Pourtant, je savais bien que Laïa était bien plus jolie que moi. Ici, tout le monde savait qu'elle était la plus jolie. Et même les filles des castes supérieures lui enviait cette beauté si particulière. Pourtant, aujourd'hui, l'entendre dire comme ça, alors que j'étais juste derrière et que j'avais, moi aussi, essayé dans bien que mal de me faire belle, me blessait. Je fermais les yeux un instant et inspirais profondément. Calme-toi, Fifi... Je rouvris les yeux pour mieux voir Laïa, installée sur le fauteuil, un grand sourire aux lèvres, l'air particulièrement heureuse... Et cela me fit sourire aussi. Je me traitais mentalement d'idiote ! Combien de fois Laïa avait dû rêver d'un tel moment... Et moi, bêtement, je l'en avais enviée !

- Idiote, me chuchotais-je.

Monsieur Gauthier se redressa et regarda ma meilleure amie avec un air particulièrement content.

- Tu es très photogénique, Laïa, s'exclama-t-il.

Elle sourit au compliment et le remercia.

- Je dois faire un photo promotionnelle pour une collection de nouveaux chapeaux hors de pris, expliqua-t-il. Cela te plairait-il d'essayer les chapeaux et de faire quelques photos ? Je proposerais la meilleure d'entre elles au magasine qui me l'a commandée.

Les yeux de Laïa s'agrandirent de stupeur et un énorme sourire apparut sur son visage. Bien sûr, elle accepta en un cri de joie. Je reculais donc pour laisser passer monsieur Gauthier et la dizaine de chapeaux. Il lui en proposa plusieurs et elle déposait avec délices les matières luxueuses sur sa tête. Autour d'elle, s'activait maintenant une maquilleuse, monsieur Gautier et Carlos. Je restais en arrière et attendais en me faisant toute petite. Je sentais mon cœur à la fois si heureux pour mon amie et si triste de ne pas en faire partie, de n'être qu'une tapisserie sur le fond de la pièce. Ils s'animaient tous sans même me jeter ne serait-ce qu'un regard. J'aurais presque pu douter de ma propre existence si je ne sentais pas en moi ces sentiments si contradictoires, si je n'avais pas cet énorme pincement au cœur... Les clichés s'enchaînaient maintenant, et les mises en scène aussi... Une fois Laïa grignotait des pop-corn ou une pomme d'amour, d'autres fois elle lançait des confettis, et d'autres encore elle riait et tournoyait de bonheur...

- Fifi !

Je sursautais. La voix de Laïa me ramena parmi les vivants.

- Prend un chapeau et vient !

Je questionnais monsieur Gauthier du regard et un hochement de tête me donna la permission que j'attendais. Je saisis maladroitement un chapeau rouge à larges bords décoré de fleurs blanches et pourpres avant de me diriger vers Laïa d'un pas incertain. Elle plaça le chapeau sur ma tête d'une manière délicate avant de me saisir les mains. Je me sentais gauche et anxieuse. Laïa était une lumière ! C'est donc d'abord avec angoisse que je posais maladroitement à ses côtés. Le premier flash m'éblouie. Je fermais les yeux. Cela fit rire Laïa qui m'entraîna habilement dans sa spirale de joie et c'est des flots de flash qui suivirent. Je me pris à rire, moi aussi, à me laisser aller jusqu'à en oublier les photos, oublier tout le reste. Il n'y avait que Laïa et moi.

Enfin, nous allions partir. Nous remerciâmes longuement monsieur Gauthier et son fils. J'allais sortir derrière mon amie lorsque le photographe me retint par le bras. Il me tendit deux photos et je le regardais surpris.

- J'ai déjà les photos que j'ai payé, murmurais-je gênée.

Il me prit la main et y déposa les deux clichés.

- Celle-ci, je te les offre, Fifi.

Je tentais de protester mais le photographe reprit.

- Je me permets d'insister. Ces photos sont à toi.

Je le remerciais et quittais précipitamment le magasin. Laïa et Carlos discutaient dehors. Je me dirigeais vers eux. Laïa me prit le bras et nous quittâmes les lieux. Les photos étaient toujours dans ma main. L'une me représentait, moi, seule, assise dans le fauteuil, les pieds sur l'accoudoir. L'autre me représentait avec Laïa, nos figures rieuses penchées vers un pomme d'amour que nous dégustions....


Souffle la libertéWhere stories live. Discover now