Section 2

281 14 17
                                    


Il s'éveilla douze heures plus tard, ayant pleinement retrouvé toute sa lucidité. Il resta sans bouger un long moment, guettant le moindre bruit. Si son sommeil artificiel avait pris fin, et surtout s'il était encore là pour y songer, cela ne pouvait signifier que deux choses : l'appareil avait atteint sa destination prévue, ou bien il s'était passé quelque chose d'anormal. Dans les deux cas, l'intelligence artificielle du bord avait lancé la séquence de réveil des occupants humains du vaisseau.

Par l'ouverture du caisson entrebâillé d'une trentaine de centimètres, il n'apercevait qu'un pan de cloison grise et terne. Aucun mouvement, aucun bruit. Tout était trop calme et trop silencieux. Noé prit une inspiration rendue tremblante par l'appréhension, et se redressa lentement en soulevant complètement le battant du bras gauche. Un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche, personne. Il enjamba maladroitement le rebord de ce qui lui avait tenu lieu de lit douillet pendant... combien de temps, au juste ? Il n'en avait pas la moindre idée, mais il se sentait tout engourdi, extrêmement faible, comme un malade qui aurait passé beaucoup de temps alité.

Il posa délicatement les orteils sur le sol, et un léger bruit électronique se fit entendre au-dessus de sa tête. Il leva les yeux et découvrit une caméra braquée dans sa direction, dont l'œil rouge luisait puissamment dans la pénombre. Il n'était donc pas seul à bord. Quelqu'un ou quelque chose, l'intelligence artificielle probablement, veillait sur lui, le surveillait. Flageolant sur ses jambes, il parcourut du regard l'ensemble de la pièce, ou ce qu'il en voyait du moins. Douze caissons, exactement identiques au sien, étaient positionnés en étoile. En dehors de celui dont il venait de s'extraire, tous étaient hermétiquement clos. Il trouva ça bizarre. Pourquoi lui seul avait-il été tiré de son sommeil artificiel ?

Lentement, très lentement, s'accrochant au passage à tout ce qui lui semblait plus stable que lui, il s'avança vers le caisson voisin. Il remarqua alors que son panneau de contrôle était éteint. De plus en plus étrange. Il fronça les sourcils, désarçonné. Son cerveau, fonctionnant encore au ralenti après tant d'années de sommeil artificiel, refusait de le mettre sur la voie d'une compréhension effrayante. Il jeta un rapide coup d'œil aux autres caissons, et sentit son estomac lui tomber brusquement dans les talons. Ils étaient éteints, tous sans exception ! Alors là, ce n'était plus seulement bizarre, c'était surtout inquiétant...

Il atteignit sa destination, laborieusement et la peur au ventre, et se pencha sur le visage de son voisin pour l'observer à travers le panneau vitré, espérant contre toute attente ne visualiser que le contenu d'un caisson vide. Ce ne fut pas le cas... Noé fit un bond en arrière avec une exclamation étouffée, perdit son équilibre déjà précaire, et tomba douloureusement sur ses fesses. Il ferma les yeux, commandant à son cerveau d'oublier immédiatement la vision d'horreur qui lui avait été soumise, sans succès. C'était le visage de Rebecca et en même temps, ce n'était plus vraiment le sien. Dieu merci, la vision d'asticots s'agitant en tous sens lui avait été épargnée, mais il ne faisait aucun doute qu'elle était morte, et depuis un moment déjà. C'était comme si elle avait été momifiée, elle n'avait plus que la peau sur les os, une peau grisâtre qui partait en lambeaux.

Ses doigts s'étaient mis à trembler, et sa faiblesse semblait s'être accentuée. Il douta de réussir à se relever, mais tenta néanmoins l'expérience. Il n'avait plus qu'une envie : quitter cet endroit le plus rapidement possible sans s'approcher des dix autres caissons, dont il savait qu'ils devaient contenir le même savoureux spectacle. Se pouvait-il qu'il soit l'unique survivant de l'expédition de la dernière chance ? Et si tel était bien le cas, pourquoi lui ? Qu'avait-il fait de plus que les autres pour mériter de vivre ? Ou pas fait, d'ailleurs. Il ne comprenait pas, des tas de questions existentielles se bousculaient dans sa tête, mais il connaissait quelqu'un capable de lui expliquer : Scarlett.

L'Arche de Noé (2015)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora