Terran

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La chambre froide lui donnait toujours les mêmes frissons et la même peur sourde et secrète lui perçait la peau, comme à chaque fois qu'il rentrait dans cette pièce. La grande armoire le dominait de toute sa hauteur branlante et âgée de pénombre. Elle était chargée d'une poussière d'usage lointain et du souffle râle du meuble de coin de pièce, oublié là par quelque déménageur maladroit. Un pas sur le parquet craquant, encore tendre de la jeunesse de la citadelle, pour voir la fenêtre, croix de pierre ouverte sur le déluge noir de la terre, assombrissant encore la pièce de sa mosaïque de carreaux épais et bariolés. Les rideaux n'étaient pas à la fenêtre mais au lit, rancis par la saleté, mités, infestés de rampants éclipsant les motifs vieillis de la tapisserie baroque, qui avait un jour dû être d'un bleu nuit enjolivé de fils d'argent.
Terran avait presque peur de ces rideaux, cachant l'horreur de la misère, la tache de ce foyer autrefois florissant, dorénavant brisé. La mère partie, le père noyé dans des affaires prétendument secrètes, mais qui passait la plupart de son temps hors de la maison. Restait le fantôme effacé de derrière les rideaux, occulté des moindres parcelles de lumière. Il écarta l'extrémité du pan d'obscurité grasse, et fut happé vers l'intérieur du lit, laissant une nouvelle fois la chambre vide de toute vie. La main ne voulait pas lâcher son poignet, alors qu'il se redressait, perdu dans une marée de draps et de coussins chauds d'une fièvre dévorante. Le noir empêchait de voir quoi que ce soit, il devait se fier à son odorat, son toucher et son ouïe pour percevoir quelque chose. L'odeur était piquée, aigre d'une constante peur. La sueur des insomnies avait encrassé les draps qui traînaient encore une ancienne odeur de lavande. Le printemps était aussi loin dehors que dans ce lit, privé de vie.

- Terran ..? commença une voix rauque, qu'il faillit ne pas reconnaître.

- Gretel ?

Avant qu'il ne puisse continuer sa phrase, elle l'entoura de deux bras osseux et se mit à pleurer dans son cou, des mèches folles lui chatouillant le nez. Pour l'apaiser, il posa ses mains sur son dos, caressa ses cheveux, qui firent vite place en descendant aux vertèbres proéminentes et aux côtes saillant sous la peau glaciale et parcheminée.

- Gretel ? Qu'est ce que tu as fait à tes cheveux ? demanda-t-il, inquiet.

Elle redoubla ses pleurs, enfouie dans son cou. Ses cheveux étaient son don, la beauté qui irradiait : toujours brillants, ondoyant jusqu'à ses cuisses telle l'impératrice des anciens temps qui avait régné sur cette partie du monde, Sissi, cachant avantageusement la difformité du crâne de sa fiancée. Elle était vraisemblablement nue dans le noir, gelée mais ne sentant pas le froid lui parcourir le corps alors qu'elle épanchait ses pleurs sur Terran.

- Ils les... arrachaient, ils tiraient... ils étaient sales, ils étaient... ternes, laids...

Il la serra plus fort contre lui.

- Shhh, là... ça va aller, ne t'inquiètes pas. Je suis revenu maintenant, rien ne peut plus t'arriver.

Elle même crocheta ses bras derrière lui, se fixant sur sa poitrine, et l'attira à elle, se servant de lui comme couverture dans son lit défait. Les larmes inondaient la soie des draps alors que sa respiration se calmait petit à petit, jusqu'à trouver le souffle caractéristique de l'assoupissement. Terran ne pouvait pas bouger sans la réveiller, il s'endormit donc aussi, malgré la crasse ambiante d'un lit trop habité depuis trop longtemps.

Le réveil fut doux, mais la saleté finissait par l'étouffer, presque plus que les bras de Gretel, toujours désespérément agrippés à lui. Elle était légèrement réchauffée, mais encore froide sous lui. Ne pouvant se résigner à la laisser là, il la souleva, frêle dans ses bras de lieutenant, et sortit de l'ombre par les lourds rideaux du baldaquin. La pièce était dans la pénombre, même les nuages bas, la tempête, les carreaux ne pouvaient expliquer un tel noir. Terran en déduit que la nuit était tombée, et qu'ils avaient dormi tout l'après midi. Le couloir était, lui, par bonheur éclairé, comme pour symboliser la sortie d'un tombeau trop étouffant pour vivre.

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⏰ Última actualización: Dec 26, 2017 ⏰

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