Chapitre six.

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Chapitre six
Pic et pic et colegram.

Je me réveille dans le lit. Enroulé dans les draps, le corps ankylosé. Mon dos me fait affreusement mal après cette nuit. Je reste immobile, les yeux fixés sur le plafond. Je tâche de les garder grands ouverts, car à l'instant même où l'ombre m'envahit, les souvenirs me plongent dans une abyme froide. La forêt, la clairière, le Diable... et elle, ma mère.

Oh, j'aimerais que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve. Dans un monde parfait, ma mère ouvrira la porte de ma chambre, un livre à la main. Elle me caresserait les cheveux pendant que sa douce voix murmurera. Puis, nous irons au marché acheter des cerises. Maman les aime tant. Nous les mangerons. Ensemble. Vivante. Elle et moi. Elle. Elle. Elle...

Ma tête retombe, las, sur l'oreiller. La fatigue m'emporte. Au Diable la vie. Tout est fade sans elle.

Mon cœur se serre. J'avais réussi -plus ou moins-, à fermer ce souvenir dans mon esprit. Et le voilà qui revient. Avec comme offrande, ma belle colombe. Le cœur de ma mère ne lui a donc pas suffit ?! Va-t-il dévorer le mien aussi ? Ou... celui de Seraphina ? L'idée me fait froid dans le dos. Où est-il, d'ailleurs ? Il ne peut pas simplement avoir disparu comme ça ! Il est forcément là, tapis dans l'ombre ! Je dois le trouver, je dois prévenir Seraphina, je dois...

— Bonjour !

Je sursaute. Seraphina ! Elle est là ! Saine et sauve. Le Diable l'a donc épargner...

— Tu as passé une bonne nuit ? demande-t-elle en posant le thé sur la table de chevet.

J'ai envie de lui rire au nez. Une bonne nuit ? Comment pourrait-elle l'être, hantée par lui ? Je me contente de hocher la tête, masquant la tempête qui rage en moi. C'est le moment de parler. De toute lui dire.
Alors pourquoi ma bouche reste scellée ?

— Aujourd'hui, j'aimerais qu'on aille pique-niquer au soleil...

Aussi charmant et lumineux soit-il, ses mots flottent autour de moi, insaisissables, comme des papillons. Seraphina ne voit pas les ombres qui s'agitent en moi. Le loup qui se cache derrière mes cernes. Elle se contente d'agiter ses longs cils blancs et de prier. Ses coudes s'enfoncent dans le lit, ses yeux se ferment. Ma poitrine s'affole, mon sang boue. Pour ne pas imploser, je repose mon attention sur la fenêtre. J'ai espoir de voir apparaître la colombe... qui ne viendra plus jamais. Il n'y à que ce ciel, sans nuage, sans vie. Juste le néant.

Je me tourne vers ma table et y trouve mon breuvage habituel. La fumée qui s'en dégage me rappelle la clairière en feu. L'odeur, elle, est différente. La lavande est un pic dans mon cœur.

— Le soleil, ça te ferait du bien, insiste-t-elle.

Je grogne dans ma barbe imaginaire. Ses paroles sont commes des gouttes d'eau incapable de pénétrer ma carcasse. La tasse exhale d'un parfum sucré. Ce n'est qu'une pâle imitation de celle de ma mère. Je la porte à mes lèvres et rechigne à boire.

— Allons, un peu de soleil illuminera ta journée !

Elle attrape mes mains et m'extirpe des draps. Elle place les coussins dans mon dos avant de sortir mes jambes de leurs tanières. Son expression se fige.

— Par tous les dieux, que t'est-il arrivé ?!

Je baisse les yeux sur mes membres froids. Ils sont striés de bleus. Des rivières se lovent autour de ma cuisse. Je contemple cette œuvre : celle du Diable.

— Il faut te soigner, murmure-t-elle en frôlant les marques.

Sa chaleur est inexistante sur ma peau. Je la regarde, ses iris comme le ciel d'été, sont fragilisés par l'inquiétude que je lui crée. Mon visage s'empourpre alors qu'elle sort de la chambre. J'ai honte de lui causer autant de tort.
Les minutes d'attente s'entassent dans un coin avec les autres. Le tas est immense, poussiéreux. C'est les bras chargés de tissus que Seraphina revient. Avec la chaise roulante. Je me fige. Cette vision me laisse un goût de défaite dans la bouche. Mes dents se serrent tandis que ses doigts s'aventurent sur ma jambe. Elle nettoie la zone et enroule le bandage avec une telle facilité que j'ai l'impression qu'elle a fait ça toute sa vie. Je me perds sur ses phalanges calleuses. Contrairement aux miennes, elles sont usées par le temps et le travail. Je ne peux m'empêcher de me demander... qu'est-ce qu'elle fait en dehors de ses murs ? Comment est sa vie quand elle n'est pas avec moi ? Et surtout, pourquoi tant d'acharnement à essayer de réchauffer mon coeur ?

DragonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant