Chapitre 3

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James tient un « bar-club » pour des clients assoiffés de sang, et n'en boit pas lui-même. Il est en transe, c'est plus fort que lui. Il en meurt d'envie, mais se retient. Le sang, qui est commercialisé, est prélevé depuis un moment, il est froid. Même réchauffé par des moyens rapides comme le micro-ondes, son goût doit être infect. Les gouttes de sueur froide de James se dissipent, son état est redevenu presque normal. Je n'ose plus dire un mot. Je voulais bien faire et encore une fois j'aurais dû m'abstenir. Il y a quelque chose de spécial en lui, je suis curieuse et effrayée de savoir qui il est réellement. Je pense que refaire un tour dans sa tête ne serait pas une si mauvaise idée...

– Reste dans la voiture.

Au ton de sa voix, il est encore en colère contre moi. Il s'est arrêté dans un petit supermarché qui ne paye pas de mine. Je le regarde sous un angle différent maintenant, une force intérieure me pousse à le découvrir. James s'éloigne de la voiture avec une démarche presque princière, dans son costard cravate, il est si charismatique. On pourrait presque le confondre avec un humain, s'il n'avait pas ses crocs pour le trahir. Je pourrais m'enfuir, là, maintenant. Je pourrais ouvrir la portière et demander de l'aide au premier venu, ou encore appeler la police avec son portable resté sous mon nez. Je crois que je n'en ai plus envie, je ne veux plus être secourue. Si ma vie doit être celle-ci, alors qu'il en soit ainsi. Rien ni personne ne m'attend. Je me rassure en me disant que le club est une bonne façon d'épargner d'autres vies. James réapparait avec une bouteille enroulée dans du journal. Il boit les dernières gorgées et la jette dans la poubelle, à l'entrée du supermarché. J'efface les petites gouttes de mon sang qui avaient taché le cuir du siège, avant qu'il n'entre dans la voiture. Ses yeux ont retrouvé une couleur normale, le jaune vif a disparu pour laisser place à sa couleur d'origine. Ses poches sont comblées. Tout est presque revenu comme avant, sauf ses lèvres qui sont encore rougeâtres.

– Nous ne sommes plus qu'à un quart d'heure. Prépare-toi.

Je vois le pont de Manhattan, nous allons l'emprunter et rejoindre New York dans quelques minutes. Je serais totalement prête si James pouvait m'affirmer que mon père n'y sera pas. Je ne veux pas devenir incontrôlable, sa présence pourrait me rendre violente et totalement hors de moi. Cette fois-ci il n'y a pas d'héritage à la clef, aucun avantage pour lui. L'eau nous entoure à présent, rien n'a changé depuis que je suis partie. Les buildings sont toujours aussi impressionnants, et il y a toujours autant de monde dans les rues. Le téléphone de James se met à sonner, il consulte le nom avant de répondre.

– Non, juste un retard... Nous irons à l'hôtel en attendant... Bien... Merci... Oui, à tout à l'heure.

Je n'ai pas vraiment envie de dormir, là, maintenant. Je veux savoir ce qui se trame. Qui est ce type au bout du fil ?

– Je sais que tu n'aimes pas que je te pose des questions. Mais je t'en supplie, dis-moi ce qui se passe.

– Les pompes funèbres n'ont pas fini de préparer le corps de ta mère. Il leur faut un peu plus de temps.

J'ai déjà du mal à comprendre pourquoi tout cela se fait aussi tard. Normalement, les enterrements sont censés se passer de jour.

– Très bien... Encore une dernière petite question, insisté-je. Pourquoi l'enterrement a-t-il lieu si tard ?

Il hésite à me répondre, mais finit par dire :

– La mort de ta mère est considérée comme un suicide. On refuse les messes religieuses à une personne qui s'est condamnée elle-même. J'ai dû m'arranger financièrement pour privatiser l'église.

Je n'avais pas pensé à cela... S'il y a une célébration, aussi discrète soit-elle, il y a de grandes chances que mon père soit au rendez-vous. James connaît le programme, il sait sûrement s'il y est. Mes mains deviennent moites, je les passe continuellement sur mes jambes, machinalement. Je suis anxieuse. James commence à ralentir devant un grand gratte-ciel. L'extérieur de la bâtisse est luxueux, dressé au-dessus du principal quartier commerçant de Manhattan.

Jamais sang-mêléWhere stories live. Discover now