XI. Pourquoi pas Georgianna ?

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En fait, Muguette n'était pas morte.

Mais cela, Domitille ne devait évidemment pas s'en rendre compte dans l'immédiat, traumatisée qu'elle était par sa première expérience avec des cadavres. Elle demeura pétrifiée sur le pas de la porte quelques secondes durant, avant de hurler en reculant contre le mur. Celui-ci lui offrit un soutien bienvenu, parce que ses jambes flageolaient tant que Domitille aurait aussi bien pu s'écraser par terre – pour la deuxième fois en deux jours, ce qui faisait sans doute un peu beaucoup. Mais bon, elle venait de trouver son deuxième cadavre en deux jours également, et sa réaction s'avérerait dès lors plutôt compréhensible.

Calixte arriva quelques secondes plus tard, dévalant les escaliers pour retrouver sa sœur tétanisée dans le couloir, plus pâle que jamais.

– Qu'est-ce que... s'inquiéta-t-elle, tout en suivant du regard l'endroit que fixait Domitille.

Elle discerna elle aussi Muguette et se précipita dans la pièce en courant.

– Mumu !

Domitille vit Calixte hésiter à poser sa main sur l'épaule de la jeune fille, mais cette hésitation ne dura point. Elle la secoua doucement, puis plus fort, avant de se rappeler que les règles élémentaires des premiers secours voulaient que l'on vérifie d'abord si le cadavre potentiel respirait encore, ce qu'elle s'employa à faire.

– Je ne suis pas trop sûre parce qu'elle n'a pas l'air de respirer très fort... mais il me semble en tout cas qu'elle respire, décréta-t-elle après une minute d'écoute attentive.

Entre temps, le cri de Domitille avait suffi à tirer les autres pensionnaires du lit, qui arrivèrent, comme la veille, pour découvrir les jumelles fraîchement libérées de prison au chevet d'un cadavre potentiel ; quel retour en force ! Les choses n'auraient sans doute pas pu être pire. Edmondine vint cependant s'agenouiller au chevet de Domitille sans effectuer le moindre commentaire, et l'aida à se remettre sur pied. Avisant Anne-Lucienne, la blonde jeune fille en profita pour l'interpeller et lui demander d'appeler les secours, cette fois, plutôt que la police.

Mademoiselle de Touchet fit son apparition sur ces entrefaites – avec ses vieilles jambes si fragiles, elle ne se déplaçait plus à la même vitesse que ses fringantes pensionnaires.

– Par tous les saints, que vous arrive-t-il encore ? Ne me dites pas qu'on a encore semé un jeune homme nu dans mon internat ? Notre réputation n'y survivrait point !

– Non Mademoiselle, la corrigea aimablement Isabeau. C'est simplement Muguette qui semble s'être évanouie.

– Ce qui est bien dommage, compléta Georgianna. J'aurais largement préféré le type à poil, même mort.

Elle darda un regard déçu sur Muguette, autour de laquelle s'activait toujours Calixte.

– Elle a l'air de dormir vraiment très profondément, en fait, expliqua cette dernière. Peut-être un empoisonnement ? Anne-Lucienne, tu as appelé l'ambulance ? Il faut qu'on la confie à des gens compétents aussi vite que possible !

Anne-Lucienne, le visage rouge, venait de revenir du pavillon de Mademoiselle de Touchet.

– J'ai appelé, ils arrivent, haleta-t-elle. Et si nous allions prendre du thé, en attendant ? Je ne pense pas qu'il soit nécessaire que nous restions toutes attroupées autour de Muguette de la sorte.

Un peu à contrecœur, les filles partirent se réfugier – s'entasser plutôt – dans la cuisine, ne laissant que Calixte pour veiller sur Muguette, assistée de Mademoiselle de Touchet, tandis qu'Anne-Lucienne veillait à ce qu'Edmondine et Domitille dégagent également le plancher, l'œil sévère. Domitille croisa son regard, et y lut une légitime suspicion. Avec le meurtre de Valmont, c'était un étranger que l'on avait retrouvé dans leur petit monde. Un étranger mort, ce n'était pas si important. Mais voilà que l'on s'en prenait à l'une d'entre elles, l'une des pensionnaires – car il ne faisait aucun doute que Muguette ait dû être attaquée, pour se retrouver dans un état pareil. Domitille ne croyait pas aux hasards de cette sorte. Cela signifiait que le danger n'était plus extérieur ; qu'il les menaçait toutes. Cet incident allait changer radicalement l'ambiance qui régnait au sein de l'internat, jusque là plutôt détendue malgré le drame. Domitille baissa la tête et clopina sur ses jambes tremblantes jusqu'à la cuisine surpeuplée, où Rose-Céleste daigna lui abandonner son siège. Désormais, elles vivaient un huis clos. Pas encore de victime pour l'instant, mais Domitille avait cet étrange pressentiment que cela ne saurait tarder.

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant