Rob Chiméric - Episode II

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Rob commençait à peine à trouver le sommeil.

Depuis quelques temps, il se sentait différent, presque heureux. Et cela le tourmentait légèrement, lui qui n'était pas terriblement doué pour le bonheur. Il se sentait tellement bien qu'il avait pris une grande résolution : il allait arrêter de fumer. Pour de bon, cette fois-ci, et définitivement ! Il avait acheté une dernière cartouche de cigarettes - en Espagne, parce que là-bas au moins on pouvait se noircir les poumons pour pas cher - et il la fumerait en entier, jusqu'à la dernière. Et après la dernière : STOP !

Mais là, le soir, seul, allongé sur son matelas, il gambergeait. Qu'allait-il devenir désormais, s'il devait vivre heureux jusqu'à la fin de ses jours ? Quel ennui en perspective... Non, il ne pouvait décidément pas dormir ce soir. Il prit une cigarette, la regarda avec tendresse, puis l'alluma, sans autre forme de procès. Et il tira la fumée dans une profonde inspiration, sentant courir dans tout son corps les bienfaits éphémères de cette passion destructrice.

Les murs de son studio s'agitaient de plus en plus, changeaient de couleurs, de formes. Ils prenaient vie, ils avaient des yeux, un nez, une bouche, ils lui tiraient la langue et se moquaient de lui... mais pour rigoler, car ils l'aimaient bien, Rob. Il les regardait encore avec circonspection - lisez phonétiquement "sirköspeksjö" - quand il décida tout à coup de se lever, de s'habiller et de sortir. Ce qu'il fit en prenant bien soin de ne pas attirer l'attention des murs, l'air de rien, en leur souriant bêtement.

Il descendit les marches de son vieil escalier de bois poussiéreux, cafardeux, miteux et tout, et s'arrêta devant la porte de l'appartement situé juste en dessous du sien, laquelle porte était entrouverte, comme une invitation à la pousser subrepticement afin de découvrir un monde mystérieux où l'ivresse se ramastalapelle, comme les feuilles mortes. Il poussa donc la porte avec prudence - jusque là, il n'avait pas remarqué sa présence - et entra dans le vestibule à peine éclairé par une modeste lanterne. La porte se referma derrière lui doucement, toute seule, avec douceur et avec tendresse, donc pas si seule que ça finalement.

Une jeune fille, cheveux noirs à la racine et courts au carré, plutôt mignonne et plutôt mince, s'avança vers Rob. Elle n'était nullement impressionnée ni surprise de la présence de ce misérable vagabond dans l'appartement dont elle semblait être l'occupante solitaire. Sans parler, ils se regardèrent, et s'embrassèrent, très amoureusement. Rob se dit que c'était sympa comme accueil, et décida de ne pas regretter d'avoir poussé la porte quelques instants plus tôt. La jeune fille lui prit la main et l'emmena dans la pièce voisine, une chambre, et ils s'assirent sur un petit lit.

"Tu dormiras ici cette nuit, Rob, lui dit-elle. Moi je dors dans le grand lit juste à côté avec ta cousine." Rob tourna la tête vers le fameux grand lit en question et reconnut effectivement sa cousine Rozaline. Elle lui souriait et lui faisait de grands signes les bras en l'air, comme si elle était loin, mais très heureuse de le revoir. Il rendit son sourire, sans bien comprendre ce qu'elle pouvait faire ici, elle qui vivait à des lieues de cette ville. Il était encore dans son étonnement quand la jeune fille l'embrassa de nouveau, et c'est alors qu'il lui caressa les seins, malgré lui, par dessus son t-shirt, en grand seigneur qu'il était.

Mon Dieu ! Il sentit que la terre entière le regardait et le jugeait, il allait être lynché, traîné dans les rues, battu, jeté en pâture à la vindicte populaire, brûlé vif, empalé, décapité, pire même, peut-être encarté au Parti Socialiste. ¿ Qué pasa amigo ? Rien de grave, mais en caressant les petits seins pointus de son accueillante hôtesse, il s'était rendu compte qu'elle en avait trois ! Serait-ce une sorcière ? Il dit à la jeune fille que c'était très mal ce qu'il faisait avec elle, laquelle lui sourit avec tendresse, pour lui faire comprendre qu'elle était d'accord avec lui et que ce serait leur secret, et que voilà, on n'en parlerait plus. Puis elle alla se coucher près de Rozaline.

La porte de la chambre voisine s'ouvrit alors, et Bernie apparut. Si, vous savez, Bernie, le cousin de Rob. Il dormait dans cette chambre, sous son appartement, et Rob n'en savait rien. Oh ! Y'a toute la famille ici ce soir ou quoi ? Bernie demanda à la jeune fille - qui n'avait pas de prénom, autant le dire tout de suite, comme ça on est tranquille - de bien refermer la petite porte du placard sous l'évier de la chambre, car ça l'empêchait de dormir. La jeune fille se leva, dans son petit pyjama rose et blanc, et tenta de refermer cette fameuse petite porte. Mais elle se dégonda - la porte, pas la jeune fille - et elle eut toutes les peines du monde à la remettre en place - la jeune fille, pas la porte. Enfin, la jeune fille eut toutes les peines du monde à remettre la porte en place - et d'ailleurs, elle n'y arriva pas.

A la grande surprise effarée de Rob, Bernie s'approcha de la jeune fille et lui donna un violent coup de rangers dans la tête, en lui disant qu'elle n'était décidément bonne à rien. Puis il resta debout devant elle, les bras croisés, la défiant du regard. Elle se releva, sans pleurer, prit la porte et la regonda - le contraire de dégonder - sous les yeux de sa mère qui arrivait du haut des escaliers et la dévisageait avec une grande fierté, l'encourageant silencieusement dans sa tâche. La jeune fille, qui en réalité avait coincé la porte sans vraiment la remettre en place, se tourna discrètement vers Rob et lui fit un clin d'œil en tirant la langue sur la droite de la bouche, en signe de complicité. Essayez, vous verrez, vous tirez la langue vers la droite de la bouche en clignant de l'œil gauche, ça fait vachement signe de complicité, je trouve, mais c'est super dur à faire. Bon, ça fait un peu gogol, mais ça fait complice quand même. Bernie retourna dans sa chambre et ferma la porte, car sa mère l'appelait étendue sur son lit. Mais nous, nous ne nous étendrons pas sur le sujet, peut-être avons-nous l'esprit mal placé.

La jeune fille ouvrit alors la porte d'une grande armoire et Rob y découvrit avec stupeur, tout au fond, une salle de bar. Il y entra et commanda un gambetta-dry-whisky-gin-coca-light avec une paille. Il y avait pas mal de monde dans ce bar, et Rob connaissait presque tous les clients présents. Le sol était jonché de pelures de cacahuètes, ce qui était chiant quand on voulait marcher à voix basse sans se faire remarquer, mais pas original non plus quand c'est heure de grande beuverie. Pourtant, eut-il malencontreusement écrasé du bout de l'orteil un minuscule morceau de coque de cacahuète, en tout cas, tout le monde leva la tête vers lui comme un seul homme et le regarda fixement. Leurs téléphones portables en mains, ils se mirent tous à les faire sonner. Rob souriait, très heureux de cet accueil. Un homme s'approcha de lui, et le prenant par l'épaule, l'emmena à l'extérieur, sur la terrasse. Il lui parlait, mais Rob ne comprenait pas un traître mot de tout ce qu'il lui disait. Il entretenait néanmoins la conversation du mieux qu'il le pouvait, en hochant la tête quand il lui semblait devoir hocher la tête.

Il sentit tout à coup de violents coups sur son postérieur - on pourrait dire aussi sur le cul, j'en conviens - pas vraiment des coups, mais comme des piqûres de guêpes. Lorsqu'il se retourna, il vit que son agresseur n'était autre que Znobiwan, un vieil ami de régiment, matelot comme lui - c'était au temps où Chirac n'avait pas encore aboli le service militaire - qui lui donnait des coups avec l'antenne de son téléphone. Rob éclata de rire et lui dit qu'il n'avait pas changé, décidément, il était toujours le même, ce "sacré Znobiwan". Cherchez pas, c'est des histoires de matafs. Après quelques bouffes, Rob retourna dans le café mais tous étaient partis. A une table, se trouvaient d'autres amis de Rob : Cyndy, Bianca, Pérette et Victor. Victor tendit à Rob un portable qu'il avait dans les mains. Il lui dit que c'était celui de Cyndy, mais que tout le monde pouvait s'abonner avec un code personnel.

Lorsque Rob enclancha son propre code, le téléphone sonna. Il répondit, et une voix de femme lui dit qu'il devait rembourser les assedics de Donna, son ex-petite amie, car elle avait reçu plus d'argent qu'elle ne devait et qu'elle demeurait introuvable. Rob raccrocha, mais le téléphone sonna encore et encore, jusqu'à ce que Cyndy le reprit en mains, ce qui le calma aussitôt. Rob se dit que lui aussi il aimerait être repris en mains par Cyndy, mais pas pour se calmer aussitôt. Tout le monde régla l'addition, car il était temps d'aller prendre le train. Rob suivit le mouvement sans trop se poser de questions.

Sur le quai numéro 7, ils montèrent dans le wagon 18, places 1 à 6. Le train vérifia que tout le monde était bien à bord, puis il démarra sur les chats podrou. En route pour l'aventure, se dit Rob, qui n'avait plus pris le train depuis bien des lunes. Le train roulait gaiement quand il vit que Cyndy et Bianca étaient toutes rouges, et très mal à l'aise. Elles regardaient en direction des banquettes situées derrière Rob, de l'autre côté du couloir. Lorsque ce dernier se retourna pour voir ce qu'il en était, notre ami en resta pantois. Là, sur les banquettes, deux tortues géantes, sûrement venues des Îles Galápagos - Insulae de los Galopegos = Îles des tortues, un peu de culture ne nuit pas à la santé - , étaient en train - ça on le savait - de copuler tranquillement - ça on ne s'y attendait pas - , sur une musique composée quelques années plus tôt par Isidor Malteplas. Rob se souvint que l'on dansait sur cette musique en remuant son bassin d'avant en arrière, et il comprit pourquoi les deux tortues pratiquaient la légendaire levrette avec autant d'entrain - rien à voir avec la fable le lièvre et la tortue de notre illustre Jean. Moi, je trouve la situation un peu olé au lait, mais je suis un peu ringard réac vieux jeu, donc ça compte pas.

Arrivés dans la petite gare de cette petite ville dont je tairai le petit nom par soucis de discrétion, et surtout parce que je ne m'en souviens plus, tous se rendirent à leur rendez-vous dans la cour de l'école au théâtre municipal. Le prof dit aux élèves de se mettre en cercle et de passer un à un au milieu, "en marchant comme un homme". Lorsque se fut le tour de Rob, celui-ci marcha normalement et se fit renvoyer illico du cours, pour l'éternité, parce qu'un homme "ça marche pas comme ça" !

Pas grave ! Il prit le bus 127, car de toute façon il devait garder une petite fille pour la nuit, pour se faire un peu d'argent de poche. Il prit donc le 127 à l'arrêt "David Hallyday" et demanda au chauffeur de le prévenir lorsqu'ils seraient arrivés à l'arrêt "Julio Iglesias", qui était sa destination. Le trajet dura près d'une heure, et lorsque le chauffeur fit signe à Rob de descendre, celui-ci s'exécuta. Il était bien au bon arrêt, mais il constata qu'il était à peine à cinquante mètres de l'arrêt "David Hallyday", le bus ayant roulé soixante minutes pour revenir à son point de départ. Après enquête, il s'avéra que l'erreur venait de Rob qui avait demandé au chauffeur de l'arrêter à l'arrêt "Julio Iglesias" alors même que le bus venait de quitter cet arrêt, et c'est lors du deuxième passage qu'il put enfin descendre. Enfin, Rob eut un peu les beubeulz, ça, je vous le dis ! Il voulut même aller tuer le chauffeur, histoire de... Mais ce dernier avait vendu son autobus pour s'enrôler dans l'armée des Power Rangers pour sauver l'humanité et se faire pardonner. Rob, bon prince, lui pardonna.

Il passa au supermarché pour acheter des corn-flakes à la petite qu'il devait garder, pour son petit-déjeuner du lendemain matin. Il y rencontra une amie, Sylviane, qui avait son caddie rempli de victuailles et autres objets inutiles. Elle dit à Rob qu'elle devait changer tous ses articles, pour gagner du temps, car elle avait repéré un super mec, qu'elle voulait draguer. Rob sourit et dit à Sylviane qu'il allait l'aider, qu'elle allait voir qu'il était vraiment son ami. Il se rendit à l'accueil du magasin, prit le micro en l'arrachant des mains d'une hôtesse qui faisait mumuse avec, et dit : "Y a-t-il quelqu'un qui travaille ici ?" Il reposa le micro - sur lequel était resté accrochée la main de l'hôtesse - , fier de son humour - je dois avouer qu'il est grave marrant, Rob, hein ?... hein ?.. bon... - et retourna voir Sylviane qui désormais s'appelait Vivian, parce que ça faisait plus "Américain de la table ronde".

L'homme que Vivian draguait était là, poussant un chariot vide, et il percuta Rob à plusieurs reprises, pour faire rire Vivian, ce qui marchait d'ailleurs. Rob, lui, n'appréciait que modérément cet humour, mais pour faire plaisir à son amie en chaleur, il subit gentiment cet affront.

Jorge arriva. Jorge était un ami de Rob, un de ses meilleurs amis, même, mais il ne le savait pas car Rob était pudique en amitié. Jorge embrassa l'homme que draguait Vivian sur le front, mais dit à Rob, stupéfait, qu'il n'aimait pas du tout cet homme, et qu'il ne savait pas ce qui lui avait pris. Vivian, que Rob ne connaissait vraiment que depuis quelques jours - il l'avait rencontrée sur internet dans un forum consacré aux charlottes aux fraises - se sentit mal à l'aise, tout ça parce que Rob mangeait tout ce qu'elle achetait : des barres de céréales, de l'eau minérale, du beurre de cacahuètes... Jorge prit Rob par le bras et lui dit, l'ayant entrainé un peu à l'écart: "T'es con, Rob, tu fais tes courses ici, alors qu'ils ont construit le fameux "Empire State Over Shopping's Australian", en Arizona. Tu vas faire tes courses en avion ou en hélico, c'est dans un grand canyon, c'est trop génial ! T'es con, Rob !"

Rob lui dit que c'était celui qui dit qui y est et qu'il avait perdu, et qu'en plus l'Arizona c'est trop loin après l'Océan qui est infesté de requins mangeurs d'hommes. Le con c'était Jorge, et Rob sortit avec ses corn-flakes, qu'il paya à la caisse, je tiens à le préciser aux esprits malveillants prêts à faire courir des bruits sur la malhonnêteté supposée de notre héros préféré. Et il alla donc garder la petite fille de trois ans, fille d'une grande dame qui le payait très cher pour ça, et qui des fois aussi lui faisait des choses cochonnes parce qu'elle l'aimait bien. Mais il aime pas trop qu'on en parle, alors vous faites comme si vous ne savez rien, ok ? Merci...

Le lendemain matin à 7h20, Rob se réveilla en sursaut. La petite était déjà debout, elle s'habillait. Elle lui demanda son petit-déjeuner. Attention, nous entrons dans une dimension fantastique. Plus elle avalait ses corn-flakes, plus la petite grandissait, à vue d'œil, sous les yeux ahuris de Rob. Lorsqu'elle eut douze ans, au bout de cinq minutes, il lui mit son cartable sur le dos et l'envoya au collège. Allez ouste ! La petite l'aimait beaucoup, et Rob le savait. Il la regarda à travers le carreau de la fenêtre de la cuisine, et se dit qu'à la fin de la journée ce serait peut-être une belle nana toute bien foutue, avec une paire de poitrine maousse, une paire de fesses à tomber par terre, une bouche... Mouais ! Lorsqu'elle eut tourné au coin de la rue, il se posa sur le canapé et attendit la fin des classes. A 16:18 exactement, Rob avait le nez posé sur le carreau à l'affut du retour de sa promise. Il la vit enfin. Effectivement, elle avait grandi, elle était belle, c'était une femme magnifiquement belle, son cartable sur le dos. A mesure qu'elle avançait, en bas, dans la cour de l'immeuble, elle vieillissait à grande vitesse. Si bien que lorsqu'elle sonna à l'interphone, c'est à une voix de vieille mémé qu'il répondit : c'est ouvert ! Elle n'eut pas le temps d'arriver jusqu'au troisième étage. Elle mourut dans le hall d'entrée. Elle était si vieille. Elle avait bien vécu, finalement. Mais c'est alors que Rob se sentit seul, terriblement seul...

Rob commençait à peine à trouver le sommeil... Et d'ailleurs, cette nuit-là, il ne le trouva pas!

Les aventures oniriques de Rob ChiméricWhere stories live. Discover now