Rob Chiméric - Episode III

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Rob commençait à peine à trouver le sommeil.

Il sentait son corps tout entier plonger au fond de son matelas, ses doigts engourdis se crisper, sa tête s'alourdir,ses yeux le brûler, ses cheveux le piquer, ses poils sur ses bras se hérisser comme un hérisson hérissé, tout cela lui donnait la chair de poule, à en effrayer un renard dans un poulailler... bref, il se consumait.

Il fit un salto arrière, ce qu'il fit,d'ailleurs, et, en caleçon mauve à pois blancs, il se mit à marcher sur les mains. Il regardait cette pièce dans laquelle il vivait quotidiennement, sous un autre jour, d'un autre angle. Le plafond devenait son plancher, et il tenait les mains collées à son nouveau plafond, c'est à dire son ancien plancher, c'est à dire qu'il avait la tête en bas et les pieds en l'air, mais vu qu'il voyait le monde à l'envers, autant dire qu'il avait la tête en haut, les mains collées au plafond et les pieds dans le vide... heu! Me suis-je bien fait comprendre... ? Voulez-vous que je répète ? Non ? Ok.

Il défiait les lois de la pesanteur, c'était génial. Ou de l'apesanteur. Je ne sais pas, en fait. Au choix.

Ilsortit de son appartement, descendit les marches de son vieil escalier, sur les mains, bien sûr, et dans la rue, sur les mains,aussi, toujours.

Il croisa des gens, ces espèces de bipèdes à la démarche si ridicule habituellement, qui là, eux aussi, marchaient sur les mains. Des enfants qui revenaient de l'école, le cartable sur le dos, en se disant des blagues et en criant et enchantant, la tête en bas... Un vieux lézard et sa vieille bique, leur petit chien en laisse, qui, lui, marchait à quatre pattes, ce qui n'avait là rien de bien extraordinaire, vous en conviendrez... quoique ?

Il faisait grand soleil encore, et le monde lui semblait tellement différent, et tellement beau, aussi, d'ailleurs, ce qui l'effraya un peu, vous vous en doutez... C'était ça, se dit-il, le grand problème de l'humanité toute entière. Il suffisait d'y penser, les hommes devaient tout simplement marcher sur les mains pour être enfin heureux... Le monde marchait sur la tête depuis le début de la Création, certes. Désormais, il marcherait sur les mains, et plus rien ne serait comme avant.

Rob croisa une bande de jeunes qui fumaient des cigarettes bizarres à côté d'un banc public, les jambes en l'air, grande leçon d'équilibre. Ils se moquaient gentiment, mais avec un brin de cruauté, d'un jeune cadre dynamique qui venait de marcher dans une crotte de chien... mais de la main gauche ! Ils lui crièrent que ça portait bonheur, et le JCD partit aussitôt, après s'être nettoyé avec une feuille de platane - arbre dont nous reparlerons ici un peu plus tard, sous la rubrique scientifique - il partit, donc, en direction d'un bar-tabac, sur les mains, ne l'oubliez pas, pour acheter un Gratouillax, le dernier jeu à gratter instantané en vogue.

Près du Grand Parc, que vous connaissez maintenant, quatre pépés en retraite bien avancée - et nos impôts, merde ! - jouaient à la pétanque, tandis qu'un cinquième perdait ses yeux et la vue avec, en tout cas ce qui lui en restait, à regarder une magnifique et non moins sexy demoiselle qui avait eu la superbe idée de sortir en jupe. Que le monde est beau quand il est sens dessus dessous ! Et en p'tite culotte. Quand il en porte une.

Imaginez le tableau, et tout ça sur les mains : un voleur courait après une vieille dame et son sac, un gendarme courait après le voleur, un chat courait après le gendarme - ça, j'ai pas compris pourquoi - un chien courait après le chat - ah, c'est peut-être pour ça que le chat courait après le gendarme - un boucher, nommé Edouard Guèze, courait après le chien qui lui avait piqué des saucisses, la bouchère, la mère Guèze, donc, courait après le boucher, un vieux pépé satire courait après la mère Guèze pour lui montrer la sienne, et la vieille femme du vieux pépé satire, armée d'une énorme paire de ciseaux de couture, courait après le vieux pépé satire qui courait après la mère Guèze, pour lui couper la sienne. Une belle ronde, en somme. Ça pourrait faire une chanson. Rien à voir, mais je me devais d'en parler.

Rob prit le bus, qui roulait sur ses roues - faut pas pousser, non plus ! - et posa son fessier sur un des sièges suspendus au plafond - ah, tout de même !

Il descendit quelques minutes plus tard - ou après, comme vous préférez - pour se rendre au château des McNotting Nikkot God's, une riche famille écossaise installée dans la région depuis peu. Il devait y célébrer le mariage de la jeune fille cadette de la famille, la belle Azalée-Fanchon, avec le sublissime apollon Abdallah Ben Zina, jeune prince héritier d'un obscur royaume pétrolifère.

Lorsque Rob se présenta devant l'entrée du château, le vieux gardien du parc lui fit une remarque qui ne fut pas piquée des vers, et qui le retourna comme une crêpe bretonne : "Alors, mon père, toutes vos bondieuseries vous sont tellement montées à la tête qu'elle s'en est renversée ? Hihi hi !!"

"Merde !, s'écria Cambronne à Waterloo." Heu, pardon. "Merde !, s'écria Rob, je porte une robe, je suis curé !" Il se redressa sur ses pieds, le visage rouge de sang, et peut-être aussi un peu de honte. Il mit quelques minutes à retrouver son équilibre, recouvrer ses esprits et retrousser sa soutane.

Il traversa le parc du château, après avoir fait remarquer au vieux gardien qu'il n'était que le vieux gardien, et que s'il voulait garder ou même ne serait-ce que conserver sa place, il avait intérêt à ne pas la ramener de nouveau. Il s'agissait de menaces gratuites, car Rob n'avait certainement aucun pouvoir en la matière, et de plus il était complètement désintéressé, mais il avait aimé se la jouer un peu, comme on disait dans le temps, à l'époque de "I like to move it move it".

Une toute jeune petite fillette mimi comme tout se rapprocha de Rob en robe sur un tricycle et lui proposa d'aller faire une promenade. Il monta à son tour sur un petit vélo avec une roue devant et deux derrière, comme un tricycle je crois, lequel tirait une charrette dans laquelle dormaient deux ânes en grève, banderoles à l'appui. Il fit le tour du château avec la toute jeune petite fillette mimi comme tout qui se fait appeler Mimi, puis ils s'arrêtèrent auprès de mon arbre.

Rob sortit un canif de la poche de sa soutane - je connais un curé qui m'a dit que les soutanes ont des poches, comme les murs ont des oreilles, d'ailleurs, et les poules des dents, et les canards des bretelles - et grava, sur l'écorce de mon arbre, un cœur transpercé d'une flèche et les initiales AA. Il dit à Mimi que cela n'avait aucun rapport avec le célèbre groupe norvégien, qu'elle ne connaissait d'ailleurs pas, mais qu'il s'agissait simplement des initiales d'Azalée-Fanchon et d'Abdallah, qu'il s'agissait d'un rituel indo-aztèque, et que, d'abord, le groupe c'était pas AA mais A-Ha, et que si elle continuait à remettre en question sa crédibilité, il lui donnerait une fessée pour lui montrer dekismokton.

Mimi, qui ne lui avait rien demandé, le regarda fixement, puis elle le regarda fixement. Il comprit alors son erreur, et il sacrifia un des deux ânes pour se faire pardonner, en le clouant vivant à plat ventre sur mon arbre. C'est dégueulasse ! Sur MON arbre !!

Rubrique Scientifique : D'aucuns déclarent,mais c'est à vérifier, que de là viendrait l'origine du nom"platane" - plat âne - pour l'âne cloué à plat ventre sur mon arbre. Pour ma part, je resterais plutôt prudent à ce sujet, et je me garderais bien de tout commentaire, d'autant que mon arbre était un chêne ! Mais je n'ai rien dit, on oublie.

Rob se flagella avec un nerf de bœuf, car la cloche du clocher de l'église à la ronde se mit à sonner l'angélus, et il récita une prière pour invoquer les Dieux, non pas que Rob nia le monothéisme catholique cher aux Gaulois laïco-révolutionnaires, mais comme il avait perdu ses lunettes alors qu'il faisait le couillon à marcher sur les mains, il y voyait maintenant trouble, et dans le trouble de sa foi, il pensait voir plusieurs Dieux. C'est mon explication, et on fera avec.

La cérémonie put commencer en grandes pompes. Rob, devant l'assistance publique et dépravée, déclara unis parles liens du mariage jusqu'à ce que mort s'en suive, la belle Azalée-Fanchon et son bel Abdallah.

Un bal fut donné sur le pont d'Avignon pour l'occasion rêvée, et on y dansa tous en rond. Les messieurs faisaient comme ça, et les belles dames faisaient comme ça, et puis encore comme ça. C'était trop cool !

Puis tout le monde s'assit sur les chaises prévues à cet effet de pouvoir s'asseoir dessus, et le rideau s'ouvrit. Le groupe Indochine apparut, et trois nuits par semaine, Bob, Morane et tous les chacals se mirent à bambouler dans une frénésie frénétique, un peu comme chez les alcooliques néphrétiques.

Quand le public entendit que le chanteur avait voulu demander je ne sais quoi à la lune, il se lassa d'autant d'hérésie. Bernie, le cousin de Rob, toujours là pour ne pas en rater une, jeta un fer à repasser et une cafetière sur scène, pour montrer son désappointement. Rob lui coupa la tête, sans autre forme de procès, d'autant qu'il n'était pas invité. Rob retira sa soutane, laissant deviner son anatomie camouflée sous un magnifique string léopard, monta sur scène et arracha le micro des mains de Nicola Sirkis, le chanteur, médusé par tant d'outrecuidance, mais le dimanche seulement. Rob chanta alors devant un public conquis et le groupe Indochine jura, mais un peu tard.

Lorsque notre ami Robby réalisa qu'il était seul en scène, que le groupe était parti en gondole sur la rivière Urubamba, que le public était parti aussi, il se dit que cet épisode n'avait que trop duré, et pensa que j'allais écrire qu'il commençait à peine à s'endormir et que d'ailleurs cette nuit-là il ne s'endormit pas. Mais non, faute, pas encore, trop facile. Il fallait souhaiter longue vie aux jeunes époux, et saluer les convives, et nettoyer tout ça, et recoller la tête de Bernie, et tout, et tout.

Contrarié, Rob arracha une carotte dans le potager du vieux gardien qui maintenant était un peu son ami, un pote, en somme, son pote âgé, quoi. Il accrocha la carotte à un fil qu'il accrocha à une branche qu'il venait d'arracher de mon arbre - l'enfoiré ! - et monta sur le dos du deuxième âne, qui n'en menait pas large, après avoir assisté, sans braire un mot, à la mort tragique mais néanmoins spectaculaire de son mari - car oui, nous devons le signaler à tous les amis des animaux du monde, poum poumpoumpoum poumpoumpoum poumpoumpoumpoum poumpoumpoumpoumpoum poumpoumpoumpoumpoum - ces deux ânes formaient un couple hétérosexuel, et fier de l'être, et l'ânesse pleurait son regretté compagnon. Paix à son âne.

Rob traversa le désert du Sahel à dos d'âne, pour acte de contrition, en jurant, mais un peu tard.

C'est alors que notre histoire prit une tournure inattendue, qu'elle devint complètement folle, pour ainsi dire. Rob descendit de l'ânesse, la descendit, la mangea, et traversa de nouveau le désert sur les mains. Chemin faisant, il se dit qu'il se sentait vachement seul dans ce monde de brutes. Même avec les scorpions qui lui chatouillaient les mains. Et là, cette fois-ci, je ne rigole pas, mais alors pas du tout, il se sentait vraiment tout seul, terriblement seul.

Rob commençait à peine à trouver le sommeil. Et d'ailleurs, cette nuit-là, il ne le trouva pas !

Les aventures oniriques de Rob ChiméricWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu