49 - Enzo...

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En mission spéciale, je me dévoue pour rendre le moral à une chaussette très déprimée...

Ma visite signalée par la maman d'Enzo au bureau des infirmières, je ne rencontre aucun obstacle pour parvenir à la porte de sa chambre, numéro 212. Je frappe, un coup très bref et sans attendre je pénètre à l'intérieur. Les volets tirés la plongent dans une atmosphère feutrée. Ambiance d'une folle gaité, comme il se doit.

Je découvre Enzo, en chemise hospitalière à poids, assoupi contre les oreillers, une perfusion plantée dans le bras gauche... Voilà qui me laisse tout loisir pour l'observer. Au repos, son visage fatigué présente de plus grandes similitudes avec Sasha, la forme, la ligne des sourcils et du nez un peu plus long, la bouche. Devant lui, sur la table roulante, son repas. Je soulève la protection : intact et froid. Cette nourriture, aseptisée, ne susciterait déjà pas l'envie chez une personne en pleine santé.

Les traits tirés, les joues creuses, les cernes... Rien de commun avec le gaillard souriant et plein d'énergie, qui se la jouait décontractée à sa soirée d'anniversaire. C'était le bon temps ! Son assurance, ses certitudes, sans compter ses provocations me hérissaient mais à choisir, je préférais l'ancienne version. Au moins je pouvais mordre sans remord. Et je comprends très bien qu'il ne souhaite pas que ses amis conservent de lui la triste image offerte aujourd'hui.

Si son état d'esprit correspond à son état physique, je vais marcher sur des œufs. En toute franchise avec à ma délicatesse naturelle, l'omelette s'annonce fastueuse, avec de nombreux éclats de coquille en garniture... Seul point positif, ce réflexe d'orgueil qui lui fait dissimuler les raisons de son état à Sasha. Gros point négatif, ce même réflexe d'orgueil qui l'empêche de voir la réalité et d'accepter conseils et mains tendues. Option du jour pour Agathe : avec secousses ou sans secousse la visite ? Je grimace, pas vraiment à l'aise, mais une certitude m'habite : l'efficacité de la méthode Théo ! Et je ne souhaite qu'une chose, qu'Enzo profite de son savoir-faire.

Installée dans le fauteuil près de son lit, des pensées moroses bousculent mon optimisme naturel. Je déteste cet endroit. Mon dernier séjour à l'hôpital remonte à... Aucune envie d'évoquer la chose. La porte s'ouvre sur une dame de service qui s'empare du plateau repas et grimace après vérification. Petit signe de tête en réponse à mon salut silencieux. Inutile de déranger le dormeur pour lui signifier sa désapprobation. Elle s'esquive sur la pointe des pieds. Me revoilà seule à fomenter quelques ruses pour convaincre la Chaussette de lâcher prise et... je croise les yeux bruns, fatigués. Indécis, pas très réveillé, Enzo s'interroge dans un froncement de sourcils. Hallucinations ? Son regard s'ajuste. Non, il y a bien une Asperge plantée à quelques pas ! Sa voix s'élève, faible.

- Aga..the ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Bon, il n'est pas à l'agonie non plus, mais ce ton résigné... J'attribue ce détail à la surprise de me découvrir, assise et silencieuse. Pas de grande tenue aujourd'hui, je les réserve à Sasha. Un jean et un tee-shirt avec de jolies fleurs multicolores, cadeau de Dorade-Marguerite... Mon blouson, posé en travers de l'accoudoir, complète « l'équipement mi-fille mi-Agathe».

Moment de vérité. En réponse à la question, je me fends d'un sourire.

- Ma chaussette de combat me manquait. Je déteste qu'on lui fasse des misères.

Attaquer la visite plus en douceur ? Ma relation avec Enzo fait que les choses tournent au rapport de force avec une facilité déconcertante, surtout s'il s'entête. Et selon les informations recueillies, question entêtement, une fois encore, il nage en plein dedans. Et puis, par respect pour lui, je préfère opter pour la franchise. D'accord, dans un passé récent, nous quereller autour de notre sujet favori « Le Trésor » enchantait, si l'on peut dire, nos deux tempéraments. La séance du jour s'annonce bien différente. Je remarque la crispation immédiate. La suite ne lui plaira pas, je le devine sans peine.

Les Tribulations d'AgatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant