Premier

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Les yeux baissés sur mon livre, je marche. J'ai le goûts du risque, et du ridicule, sans doute; car je lis en marchant. Mes pieds avancent, se lèvent, retombent au sol; je connais le chemin, je n'ai pas besoin de regarder devant moi. J'avance et accuse les regards importuns des autres; planquée derrière mon bouquin. Je joue à celle qui ne voit pas, comme une funambule sur le bord du trottoir je perds mon temps sur le goudron et retrouve les beaux souvenirs d'enfance le temps d'un instant.
Je n'aime pas le monde, je n'ai jamais aimé ça. Je suis une isolée, évadée du monde; une fugitive. Je fuis les autres, la foule, les gens, les Hommes, les sentiments, les maux. Pourquoi s'offrir aux autres? Je n'y vois aucun intérêt. C'est tendre le bâton pour se faire battre, ou bien brandir son dos à qui veux le planter. La solitude me comble ainsi de joie, elle me plait et me rend libre. Aucun attachement ne compromet mes réflexions, aucune entrave aux décisions. Je les observes, je les étudies et les admires, ces innommés. Ils m'intriguent. Je ne les comprends pas, cependant. 
Réfugiée d'entre les pages, j'avance encore. Peut-être n'aurais-je pas dû jouer les acrobates sur la route de l'abattoir: je suis en retard. Mais je n'ai aucune envie de découvrir ce nouveau lycée, j'en ai connus tant que ces découvertes écolières sont d'une fadeur ineffable. Tout est toujours pareils, à me croire tournée dans le tambour de la machine à lavée, j'attends l'essorage. Sortez-moi de là, étendez-moi à l'air libre et faites-moi respirer.
Huit heure cinquante-neuf; je suis en retard. Un fatras d'improbabilités quotidiennes ne semble pas me laisser la chance d'être scrupuleuse à la ponctualité; pour mon plus grand désarroi. 

*

La porte s'ouvre à neuf heure et quart. Je m'excuse, m'avance à ma table, le livre contre le coeur. La craie blanche se rend alors compte d'une présence dérangeante et a la politesse de crisser pour moi contre le tableau, signalant le dérangement à la classe toute entière. La discrétion, ma plus chère amie, est en pause café.

-"Vous êtes?" me lance le vieux bonhomme, planté devant ma table et ainsi semblable à une pique de glace. Il attends ma réponse; tapotant du pied, croisant ses mains, me disséquant des yeux. Si les yeux pouvaient tuer.

-"Mélissa Dessoit, marmonais-je.

-Mélissa? Sans doute. Vous êtes en retard."

Silence, je ne réplique pas. C'est une évidence: je suis effectivement en retard. Mon professeur semble perspicace. Mon prénom ne lui dis rien, et c'est tant mieux. Je demeure inconnue, et n'attire pas les regards trop longtemps. Les autres semble pris d'une torpeur générale. Parfait. Je m'enfonce sur ma chaise, les yeux baissés sur une table vacillante, tandis que la perspicacité s'éloigne. Mes yeux, sans un réel accord de ma part, devinent les écrits  absconces étalés sur ma table; "Arnaud aime Juliette", passionant. Mon bouquin me manque. 

*

-"Mademoiselle Mélissa?"

La réalité me dérobe et dérange. Elle m'étouffe un moment et m'arrache de mes pensées. Pensées certes insignifiantes, mais le retour à la réalité est un peu trop brutal à mon goût. La perspicacité me parle. J'ignore pourquoi. Cependant, j'aime le surnom qu'il porte, je me félicite de l'avoir si bien nommé. Je semble être un poisson hors de l'eau, me débattant pathéthiquement pour survivre à l'air sans poumons. Ici monsieur Perspicace est l'air, et il me manque la réponse.

-"Je ne sais pas." Je réponds, incertaine. Personne ne parle, je suis comme étalée devant les autres muets. J'inspire donc au silence. Baisser les yeux n'y change rien, le sol ne veux pas s'ouvrir sous mes pieds. 

-" Arcsin fois Cosinus de trente plus cinq, monsieur; une voix me sauve la vie.

-Très bien mademoiselle Ausen, je ne m'adressait pas à vous, mais très bien. J'apprécis d'avoir au moins une oreille attentive à mon cours. Bien, continuons, et mademoiselle Lone ayez la bonne idée d'être attentive en classe..."

Sauvée par le gong. Je remercie le petit dieux là-haut de m'avoir sauvée de la noyade. C'est assez ironique dans un sens, moi qui pensait être un poisson il y a de ça deux minutes. "Mademoiselle Ausen" me fait un clin d'oeil complice, et alors j'entrevois un éclair de bonté dans ce lycée de fous, attachés à l'heure comme le serait un enfant envers sa sucette.  Sont-ils tous aussi aimables, attentionnés, vais-je servir de cible en cours de sport? Je ne dois survivre que quelques mois, sans doute, jusqu'à ce qu'on m'emmène loin d'ici, harnachée une fois encore dans un camion de déménagement. Ah! Quelle bonne odeur du départ, celle des cartons et de l'abandon de la vie sociale forgée à coups de sourires-plastiques. Je suis le petit baluchon  trimballé sur le dos maternel, pas trop dérangeante mais pesante par la durée. J'imagine qu'on fonctionne comme ça toutes les deux : on s'entraide en se traînant l'une et l'autre. 

Apparemment, la perspicacité est professeur de mathématiques. Je semble être la proie des chiffres.

**

"Salut Mélissa, j'ai envie de jouer avec toi " 

 Voilà dix minutes que je me demande qui est le fameux destinataire en chaleur. Car mon esprit n'étant pas pieux, il saute de " veux-tu jouer" à "je suis un prédateur sexuel". Je suppose qu'il ne s'appelle pas "numéro caché" cet inconnu, et cette pensée semble faire de moi un génie. Un génie de la déduction, digne des plus grands inspecteurs. Je décide alors d'accepter sa proposition le temps d'une soirée, car la curiosité m'y emmène sans réel désir de chaleur. Je me jette au feu en espérant avoir froid.

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N'hésitez pas à me donner des conseils, dîtes-moi ce que vous pensez de ce début, je serais ravie d'avoir vos avis pour progresser ou tout simplement pour savoir si vous aimez et voulez une suite! :)
J'écrirais la suite dès que possible, alors à bientôt vous! :)

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