Black-out | 3. Rentrée des classes

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Après avoir fait le tour du bâtiment, Paul trouva une lucarne qui n'était pas verrouillée. Il l'ouvrit, y fit passer son sac à dos, puis se hissa au travers de l'ouverture.

Une fois à l'intérieur, Paul s'affaissa par terre, adossé au mur de ce qui semblait être les toilettes des garçons. Il avait l'estomac retourné, et l'odeur de javel qui embaumait la pièce n'arrangeait pas les choses. Trois personnes venaient de mourir sous ses yeux.

Tout s'était passé si vite, il n'avait pas eu le temps de réaliser. D'abord, le jeune qui rentrait de soirée, écrasé par l'ambulance. Ensuite, le clochard et le chauffeur du tramway, emportés par les balles. Tous les trois étaient morts, et il n'avait rien pu faire pour l'en empêcher. Il revit le regard du chauffeur quand il lui avait ordonné de s'enfuir, et le sang qui gicla quand il fut touché par la balle. La scène n'avait rien à voir avec les jeux de guerre auxquels il avait l'habitude de s'adonner avec son équipe. C'était réel, et cela le terrifiait. Il n'imaginait pas que ce furent là les trois seules victimes. D'autres avaient dû périr au vu du nombre de coup de feu qui avaient été tirés.

Les larmes lui montèrent aux yeux. En s'essuyant le visage, Paul se rendit compte que ses mains tremblaient. Il croisa les bras, et tenta de contrôler sa respiration pour se calmer.

Il resta prostré par terre plusieurs heures avant de pouvoir bouger un muscle. Au loin, des coups de feu rompaient le silence de temps à autre, le faisant sursauter.

Quand la faim commença à le tirailler, Paul regarda sa montre. Il était presque midi.

Réalisant le temps passé, Paul sortit de sa torpeur.

- Que de temps perdu, pensa-t-il.

La ville était assiégée, et il venait de passer plusieurs heures enfermé dans les toilettes d'une école élémentaire. Il s'en voulait.

Il tenta d'appeler ses parents, mais son téléphone portable ne captait toujours aucun réseau. A tout hasard, il composa le 112. Il se souvenait que ce numéro était accessible même lorsque l'on ne captait rien.

Peine perdue, Paul n'entendit même pas la tonalité occupée.

Il décida de fouiller l'école à la recherche d'un téléphone fixe. Peut-être aurait il plus de chance avec une ligne terrestre.

Avant de quitter les toilettes, il prit soin de verrouiller la lucarne par laquelle il était parvenu à s'infiltrer dans les murs.

L'école n'avait pas changé depuis qu'il l'avait quittée sept ans plus tôt.

Il emprunta le large escalier en bois qui desservait les quatre niveaux du bâtiment, et se dirigea directement vers le bureau du directeur, au premier étage.

La petite pièce était dans un désordre absolu. Aux murs, les étagères étaient remplies de cartons classés par ordre alphabétique. S'ils étaient tous remplis, ce dont Paul ne doutait pas, il aurait été prêt à parier que ses bulletins de notes étaient encore dedans.

Devant lui, deux chaises étonnamment vides faisaient face à un bureau dont ne pouvait voir le plateau. Des piles de dossiers mal entassés occupaient la quasi-totalité de l'espace, laissant juste de quoi poser un écran d'ordinateur et un clavier. La souris était posée sur un tas de feuilles bancales, ce qui révolta l'âme de gamer de Paul. Le téléphone était posé par terre, il avait manifestement été relégué là par crainte de le voir enseveli sous la paperasse.

Paul porta le combiné à son oreille et n'entendit même pas l'écho de son souffle dans l'écouteur. Plus de communications, et toujours pas d'électricité.

C'est à ce moment là qu'il réalisa à quel point il était coupé du monde.

Que se passait-il à l'extérieur ? Ses parents et sa sœur étaient-ils en sécurité ? Qui étaient les hommes armés qui avaient tenté de le tuer ? Le fait d'être dans l'ignorance totale était pour lui insupportable. Il pourrait chercher une télévision dans l'école pour s'informer, mais quand bien même il trouverait un moyen de l'allumer, il était convaincu que rien n'y serait diffusé.

Paul était pour lui-même sa seule et unique source d'informations. Il se souvint du drapeau rouge et noir qui flottait au-dessus du pick-up. Cela ne lui rappelait aucun pays. La façon dont s'étaient déroulés les événements ne lui remémoraient que trop bien les attentats qui avaient égrené l'actualité ces derniers mois. Si sa ville était attaquée par des terroristes, il savait que l'armée finirait tôt ou tard par intervenir, et que la meilleure option pour lui consistait à se cacher en attendant les secours. Pour cela, l'école n'était pas un endroit idéal car très exposé, mais au moins il n'était pas dehors.

Il grimpa au troisième et dernier étage, qui servait autrefois de réfectoire, et s'approcha lentement d'une fenêtre pour observer ce qu'il se passait au-dehors. Il n'était pas question pour lui de se faire repérer.

Plaqué au mur, penché contre la vitre, il contemplait la rue. Un samedi midi, elle aurait dû être bondée. Au lieu de ça, un calme malsain y régnait. Il leva les yeux au ciel. D'épaisses fumées noires montaient au loin. Un bruit caractéristique vint troubler la fausse quiétude qui s'était abattue sur la ville. Paul tourna la tête et vit un hélicoptère bleu apparaître derrière la ligne d'immeubles.

Il lut sur le flanc de l'appareil qu'il appartenait à la gendarmerie. Cela lui mit du baume au cœur. Comme il l'avait imaginé, les forces de sécurité étaient en ordre de marche et allaient rétablir la paix dans sa ville natale.

L'hélicoptère décrivait des cercles autour de sa position. La porte latérale était ouverte, et par moment, lorsqu'il était suffisamment proche de l'école, Paul pouvait voir les gendarmes à l'intérieur, lourdement armés.

Par leur insistance, Paul comprit qu'ils étaient à la recherche de quelqu'un ou de quelque chose autour de lui. Il scanna les environs, et son attention fur attirée par du mouvement en contrebas.

Quatre hommes venaient de faire irruption sur une terrasse, vide quelques instants auparavant.

Depuis sa position, l'hélicoptère ne pouvait les voir, cela Paul en était sûr.

Les hommes mirent d'abord en place un trépied assez large. Ils étaient entraînés, leurs gestes étaient sûrs et précis. Sur cette structure, ils déposèrent un tube qui ne laissait pas de doute quand à sa vocation première. Un des hommes ouvrit une malle à ses pieds et en sortit un missile blanc qu'il chargea dans le canon. La scène était surréaliste.

Pendant ce temps, l'hélicoptère tournait toujours au-dessus du pâté de maison.

Paul voulu les prévenir, mais cela aurait compromis sa position. S'il avait crié, peut-être que les hommes en contrebas l'auraient entendu, mais sûrement pas ceux à bord de l'hélicoptère.

Comme si le film était tourné depuis longtemps, la bobine révéla son scénario macabre.

Un des hommes, affublé de jumelles, leva le bras en l'air, puis le laissa tomber.

Le missile, propulsé à deux fois la vitesse du son, passa juste en-dessous de l'hélicoptère.

Paul cria de joie. Il a manqué sa cible ! Pensa-t-il.

C'était sans compter sur la maline ingéniosité de ses concepteurs. L'autodirecteur recalcula la trajectoire du missile qui opéra un virage à cent quatre-vingt degrés.

Cette nouvelle passe fut fatale. Le missile explosa au contact de l'hélicoptère, qui alla s'écraser au pied d'un immeuble.

Choqué, Paul tourna la tête vers le groupe armé sur la terrasse.

Ils étaient déjà en train de plier bagage, avec le même professionnalisme qu'à leur arrivée.

Ces hommes-là ne sont pas des terroristes, pensa Paul. Ce sont des soldats.

Black-outWhere stories live. Discover now