Black-out | 8. Prises de guerre

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Assis près de la fenêtre, Paul surveillait la rue.

Chaque bruissement de feuilles, chaque oiseau qui s'envolait, ravivait son espoir de voir son père remonter la rue au volant de sa vieille Volvo. À l'affût de tout mouvement suspect, Paul prenait son mal en patience.

A côté de lui, Sergio dormait dans son lit. Ils s'étaient mis d'accord pour faire le gué à tour de rôle, et Paul s'était proposé pour commencer au poste de vigie. Ainsi, il aurait tout loisir de contempler la lettre laissée par son père, à la fois pleine de promesses et de doutes.

Plus tôt dans la matinée, les deux amis avaient fait une rapide virée chez les Torelli. Malheureusement pour Sergio, le scénario fut à peu de choses près le même que pour Paul, la lettre en moins. Il n'y avait aucune trace de ses parents dans la maison. Son père n'était pas rentré, et la voiture de sa mère était bien à l'abri, dans leur garage. Sans s'attarder, Paul et Sergio avaient alors amassé quelques provisions et s'en étaient allés.

Sans autre objectif que celui d'attendre le père de Paul, les deux jeunes avaient convenu de prendre leurs quartiers dans la maison de ce dernier. Ils s'étaient installés dans sa chambre, à l'étage, car c'était celle qui disposait de la meilleure vue sur les alentours.

Entre deux coups d'yeux furtifs jetés vers l'extérieur, Paul relut plusieurs fois les quelques mots écrits par son père. Après le choc provoqué par la lecture de la lettre qu'il avait trouvée plus tôt ce matin, il imaginait qu'il n'arriverait pas à trouver le sommeil facilement.

Il se trompait.

Bercé par la respiration profonde de Sergio, son regard se perdit dans le vide. Les mots se mélangèrent pour ne plus former qu'une bouillie littéraire indigeste.

Il était à bout de forces.

Il lutta de son mieux contre la fatigue, mais, lentement et sûrement, il inclina sa tête contre le montant de la fenêtre et ses paupières se fermèrent. Ses doigts lâchèrent la précieuse lettre qui s'échoua délicatement sur le sol.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre son nouvel ami dans les bras de Morphée.

Dans le voisinage, tout le monde ne pouvait pas en dire autant.

Tandis que les deux adolescents dormaient d'un sommeil de plomb, une patrouille entamait sa maraude dans le quartier.

Un camion immaculé bifurqua dans le lotissement. A son bord, deux hommes en uniforme.

Le conducteur avait le teint sombre, et ce regard noir de ceux qui ne sont plus atteints par les atrocités de la guerre.

Le passager lisait une carte. Il redressa la tête. Son visage était traversé par une longue cicatrice. Il fit signe au chauffeur de s'arrêter devant la première maison du lotissement.

Les deux hommes sortirent de la cabine.

Ils étaient en treillis complet, et disposaient chacun d'un fusil mitrailleur porté en bandoulière. L'homme à la cicatrice rangea la carte dans une poche de sa veste, et se posta devant le portail, balayant le quartier du regard. Il gardait en permanence une main sur son arme, le doigt sur la gâchette.

Le chauffeur fit le tour du camion, et en ouvrit les portes battantes à l'arrière. Il monta dans la remorque, et attrapa un sac de sport noir, manifestement vide, parmi une dizaine d'autres. Il rejoignit le balafré devant le portail.

Ensemble, ils pénétrèrent dans la maison dont la porte était restée ouverte. Ils refermèrent derrière eux.

Le bruit étouffé du commando était à peine perceptible depuis la rue. Ils fouillèrent la maison à la recherche d'objets de valeur, retournant les matelas, ouvrant les armoires, faisant main basse sur les boites à bijoux, les montres, les ordinateurs portables, les tablettes, les Smartphones. Tout ce qui n'était pas trop encombrant et qui pouvait rapporter de l'argent. Ils subtilisèrent même des vêtements en fourrure et des chaussures à talons d'un couturier renommé.

Au vu de leur efficacité, ce n'était certainement pas la première maison qu'ils cambriolaient.

Un quart d'heure à peine après être rentrés, le duo ressortait de la maison.

De tous temps, les pillages avaient démontré être une importante source de financements pour l'effort de guerre. A leur tour, ces envahisseurs ne dérogeaient pas à la règle. Après avoir fait fuir la ville de ses habitants, ils s'emparaient de leurs richesses.

L'homme au teint hâlé traînait derrière lui le sac noir, maintenant plein à craquer.

Il le chargea à l'arrière du camion, et remonta dans la cabine. Il démarra le moteur et avança de quelques mètres jusqu'à la maison suivante.

L'homme à la cicatrice, resté devant le portail, sortit une feuille et un stylo de sa veste militaire. Il fit rapidement l'inventaire de leur butin, et raya l'adresse de la maison qu'ils venaient de visiter.

L'opération se répéta à l'identique pour chaque maison du quartier.

Pendant ce temps, Paul et Sergio dormaient toujours. Impossible de résister après une nuit blanche à crapahuter dans le métro, puis à travers la forêt.

Arrivé devant la maison de Paul, le camion s'arrêta à cheval sur le trottoir.

Fidèle à son rituel, l'homme basané alla chercher un sac vide pendant que l'autre l'attendait devant la porte, prêt à dégainer.

Les deux adolescents, à quelques mètres à peine, ne se rendaient compte de rien.

L'homme à la cicatrice posa sa main sur la poignée et la tourna lentement.

La porte n'était pas verrouillée.

Black-outWhere stories live. Discover now