12. Un facteur de plus dans l'équation

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Cela avait étonné Doris au premier abord, mais elle ne s'en formalisa pas outre mesure. Ce fut sa première erreur par rapport à son époux, et sans doute celle qui précipita le début d'une longue suite d'ennuis. Cela dit, elle ne s'en doutait pas encore, et vivait comme d'habitude, dans une oisiveté caractéristique des gens de cour passant leurs journées à se prélasser dans les jardins ou les salons.

Aussi éloigné d'elle qu'il le pouvait, Alston s'occupait comme il l'entendait ; de façon singulière, mais personne n'osa s'en inquiéter, de peur de froisser ce personnage à l'irascibilité notoire. On racontait que sa colère pouvait être semblable à celle d'un lion. Nul doute que la mention du roi des animaux n'était qu'exagération, mais pas un employé du manoir Crawford ne se risquerait à aller vérifier.

Du moins, aucun hormis ce valet qui servait sa femme, songeait le parlementaire. Ce Howard Lidell... Le petit jeune homme au teint blafard et à la discrétion légendaire provoquait en lui, sans qu'il ne sache exactement pour quelle raison, un dégoût innommable. Il parvenait difficilement à conserver son sang-froid lorsqu'il se trouvait dans la même pièce que ce ridicule domestique, qui avait pourtant une prestance, un genre d'aura. Quelque chose qui ne relevait nullement du tangible, et qui pourtant était palpable. Le rouquin ne saurait l'expliquer, car même à ses yeux, cela ne faisait pas sens.

Alston Crawford aurait-il peur de ce curieux valet ? Ha ! Certainement pas. Il chassa bien vite cette pensée absurde dans un obscur recoin de sa tête, et se hâta de remplir sa besogne. Depuis plusieurs heures déjà, il tentait de rédiger une missive à l'attention de l'une de ses connaissances. Il s'agissait d'une grande dame de cour, que l'on disait être la maîtresse du Maréchal Wilkerson lui-même. Si ces rumeurs étaient ou non fondées, Alston ne savait pas. Mais cela n'importait pas, en l'occurrence.

Il devait écrire à Lydia Faure, et s'entretenir au plus tôt avec celle qui partageait son sang ; une cousine éloignée travaillant comme femme de chambre, au service de Doris. Il lui fallait coûte que coûte l'aide de cette vulgaire domestique pour pouvoir atteindre Lydia. D'ordinaire, il aurait répugné à user d'un tel stratagème pour parvenir à ses fins, - avoir recours à une femme de chambre ! - cependant la situation actuelle exigeait de lui des concessions. Il s'y plierait, tant pis pour sa fierté.

Arya Faure était déjà, et sans le savoir, le nouveau facteur clé dans l'équation qui rythmait le destin d'Arcadia et de sa capitale.

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Si Howard appréciait le confort du grand manoir, il aimait davantage la fraîcheur et le naturel des immenses jardins, qui s'étendaient de part et d'autre de la propriété. Arbustes et haies parfaitement taillés, allées pavées de dalles grisonnantes, parterres de fleurs resplendissants, et même fontaines rendaient ces lieux enchanteurs, envoûtants. Naturellement, de par son statut, le domestique ne pouvait pas s'y rendre quand bon lui semblait.

Ainsi se tenait-il, mains dans le dos, posture droite, juste à côté de son employeuse, qui sirotait gaiement un thé bien chaud, assise dans une chaise en osier. A cause des températures hivernales basses au mois de janvier, elle avait été forcée de rêvetir un long et épais manteau couleur crème, qui s'accordait à merveille avec le blond platiné de ses cheveux. Ses joues poudrées étaient rougies par le froid, mais elle ne semblait guère s'en soucier, figée dans une allégresse qu'elle seule pouvait comprendre.

Son valet devait admettre que chaque fois qu'il la voyait de la sorte, comme une enfant émerveillée par un monde nouveau, il s'étonnait. Toujours, cet air profondément paisible qu'elle arborait sur son visage aux traits harmonieux le prenait au dépourvu. Pourquoi ? Il ne savait pas. Et il ne voulait peut-être pas savoir, de toute façon. Cela ne lui apporterait rien, cela ne répondrait qu'à une interrogation futile qu'il aurait aimé chasser de son esprit, déjà fort encombré de choses et d'autres, de problèmes et d'affaires à régler.

Arcadia, Tome 1 : La chute de la CapitaleHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin